• Il avait complètement bloqué les effets de ses pouvoirs. Les sanglots qu’elle retenait depuis le matin finirent par éclater.

    - Tu es opiniâtre ! lança le sorcier en pénétrant dans la tente, amusé. Tu ne me crois pas assez stupide pour te laisser avoir accès à la magie ? Si ?

      Sans lever la tête, Estelle comprit qu’il s’était assis sur le lit, juste devant elle.

    - As-tu réfléchi à ma proposition ? s’enquit-il. Laisse-moi entrer dans ton esprit. Accepte de devenir ma disciple ! Tu pourrais être l’égale de Mikalyas, au lieu de son esclave ! Tu pourrais même prendre sa place à mes côtés…

      Estelle se mit à sangloter de plus belle.

    - Pense à tout ce que tu as subi aujourd’hui ! Tu as fait tout ce qu’il t’ordonnait : t’occuper de son cheval, cheminer à pied à côté de lui, nettoyer ses vêtements, le servir à table… Alors que tu pourrais avoir le même luxe que lui.

      Comme elle ne répondait toujours pas, il poussa un soupir de dépit.

    - Tant pis pour toi.

      À cet instant, Mikalyas pénétra sous la tente. Branag se leva. Il fit un sourire navré à la jeune fille.

    - Je crois que ton service reprend, petite Estelle. Mais si tu décides de changer d’avis, fais-moi appeler ! Peut-être répondrai-je ?

      Lorsqu’il fut sorti de la tente, Mikalyas fixa sa sœur d’un regard sombre.

    - Eh bien ? Ne reste pas plantée là ! Viens m’aider à enlever ces vêtements sales ! Vite !

      Estelle baissa la tête en s’approchant de lui. Vautré sur sa couche, il étendit les jambes.

    - Enlève moi ces bottes !

      Elle s’exécuta. Sans jamais le regarder en face, elle le débarrassa de ses vêtements. Il se glissa dans l’eau chaude avec délice. Anticipant ses ordres, elle prit le savon pour le laver. Il ne la quittait pas des yeux. Le sourire qui déchirait le cœur d’Estelle apparut sur ses lèvres. Lorsqu’il souriait ainsi, il semblait vraiment être encore le jeune garçon qui vivait toujours dans ses souvenirs.

    - Ce bain était délicieux, petite sœur ! Tes mains sont si douces.

      Dans une gerbe d’eau, il jaillit de son bain. Estelle détourna les yeux. Comme chaque soir depuis une semaine, elle dut l’habiller, consciente qu’il ne perdait pas une occasion pour l’effleurer.

    - Dépêche-toi de vider cette baignoire. Nettoie toute cette eau ! ordonna-t-il soudain d’un ton dur qui tranchait avec sa voix pleine de séduction d’un instant avant.

      Elle attendit qu’il ait quitté la tente pour se remettre à pleurer tout en lui obéissant. Malgré la perte de ses pouvoirs, elle avait tenté de s’échapper le premier jour de leur voyage. Mais Mikalyas l’avait rattrapée dans la forêt. Le châtiment qu’il lui avait alors infligé avait été si douloureux qu’elle en tremblait encore. Lorsqu’elle eut terminé, elle se blottit au pied de la couche, là où elle dormait tous les soirs. Elle ferma les yeux, espérant prendre un peu de repos avant les prochains ordres de son frère.

      Une étrange impression la fit soudain lever la tête. Un nuage luminescent bleu apparut au milieu de la tente. Cœlian se matérialisa devant elle. Elle écarquilla les yeux, bouche bée. Le sourire narquois du chevalier devint encore plus moqueur.

    - Alors, sorcière de mon cœur ? Tu as perdu la parole ?

      Il fit un pas vers elle. Elle se recula brusquement, terrorisée.

    - Vous n’avez pas le droit ! gémit-elle. Vous n’avez pas le droit de prendre son apparence pour me tromper ! Je refuse, Branag ! Je refuse !

      Cœlian resta interloqué une fraction de seconde. Son esprit nouvellement entraîné à repérer les forces surnaturelles comprit que la jeune fille n’avait plus aucun pouvoir. Il la força à se lever. La terreur qu’il lut dans les prunelles vertes l’inquiéta. Il sursauta en entendant quelqu’un pénétrer dans la tente.

    - Eh ! Vous ! Lâchez donc mon esclave ! Cette fille est à moi.

    - J’imagine que vous êtes Mikalyas ?

    - Oui, et vous, qui êtes-vous ? lâcha-t-il avec morgue.

    - On discutera de tout ça un peu plus tard !

      Cœlian tira Estelle par le bras en posant l’autre main sur l’épaule de son frère. Ce dernier ne comprit pas ce qui lui arrivait. Il trébucha. Mandaly mit à profit sa surprise pour le ligoter sur le sol. Estelle le regardait faire, figée, sans parvenir à réagir. Cœlian prit son visage entre ses mains, de manière à libérer son esprit de l’emprise de Branag. Elle tressaillit, sentant comme une vague de chaleur parcourir ses veines.

    - Que se passe-t-il ?

    - Le blocage magique du sorcier a disparu, Estelle ! Pour l’instant, nous sommes tous hors d’atteinte de Branag. Ce camp est protégé par… un ange.

      Estelle regarda tout autour d’elle, mal revenue de sa surprise.

    - Alya ! Alsved ! s’exclama-t-elle en reconnaissant les animaux attachés à des arbres.

      Elle se précipita auprès de la panthère qui la débarbouilla d’un vigoureux coup de langue.

    - Mais alors ? Vous êtes vraiment… Cœlian !

      Le chevalier de Mandaly hocha la tête, bras croisés, adossé à un arbre. La jeune fille mourait d’envie de se réfugier dans ses bras. L’expression glaciale de son fiancé l’en dissuada. Elle recula d’un pas en baissant le regard.

    - Vous ! Ne menacez pas ma sœur !

      Ils se tournèrent vers le prisonnier qui fulminait.

    - Mikalyas, je pense que vous n’avez pas bien compris la situation ! ricana Cœlian. C’est de vous qu’il faut la protéger.

    - Je suis son frère, comment pourrais-je la blesser…

      Cœlian s’accroupit pour le regarder en face. Les yeux verts et les yeux bleus s’affrontèrent.

    - Vous n’êtes pas digne d’elle ! siffla l’homme blond. Estelle, ma tendre sœur retrouvée…

    - Votre tendre sœur ? Celle que vous avez traitée en esclave…

    - Mais je n’étais pas moi ! C’était mon… ce seigneur d’Andral qui m’y a contraint !

      La jeune fille s’avança, touchée par les larmes qui troublaient le regard de son frère, par sa voix si tendre et son air suppliant.

    - Mikalyas ! Mon frère aimé ! Dis-moi que c’est bien toi !

      Sidéré, Cœlian recula d’un pas.

    - Libère-moi, Estelle ! Je t’en prie ! Je voudrais tant te serrer contre moi !

      La jeune fille hésita. Pas encore habituée au retour de ses pouvoirs, elle n’essaya pas de sonder l’esprit de son frère. Elle voulut trancher ses liens à l’aide d’une dague. Son fiancé bloqua son poignet.

    - C’est une plaisanterie, Estelle ? Tu ne feras pas une chose aussi stupide !

      Elle le regarda d’un air de défi.

    - Qui m’en empêchera ? Toi ? Tu n’as pas pu m’empêcher de t’envoyer en Arkanie !

      Un demi sourire menaçant déforma le visage du chevalier de Mandaly.

    - Mais grâce à ce voyage, certaines choses ont changées. Tu n’aurais pas dû me rappeler cet événement, petite sorcière insupportable ! Ma colère à ce sujet n’est pas tout à fait éteinte ! Tu viens juste de  la raviver. »

      Estelle tressaillit lorsque le chevalier la désarma avant de la repousser loin de Mikalyas.

    « Tu l’auras voulu ! » jeta-t-elle en fermant les yeux. À sa grande surprise, Cœlian ne bougea pas, son regard de plus en plus froid.

    - Qu’aurai-je voulu ? s’enquit-il avant de maintenir les poignets de la jeune femme dans son dos.

    - Lâche ma petite sœur chérie ! Ne lui fais pas de mal ! Estelle ! C’est lui qui te veut du mal. Moi je t’aime !

      Les mâchoires crispées par la colère, Cœlian arracha d’un geste brusque la tunique déchirée d’Estelle, dévoilant les ecchymoses sur ses jambes et son dos.

    - Parce que toi, tu lui as fait du bien ? Regarde son corps, frère si aimant ! Ces marques violacées, d’où viennent-elles à ton avis ? Ce sont là tes preuves d’amour, n’est-ce pas !

      Paniquée, la jeune fille tremblait contre lui. Il la lâcha brusquement. Elle le fixa avec une colère mêlée de peur. Sans y prêter attention, il sortit de son paquetage la chaude tunique qu’elle affectionnait. Il la lui enfila avec une grande douceur.

    - Estelle ! murmura Cœlian. Regarde moi ! Je sais que tu souffres que ton frère ait perdu ses souvenirs de toi, mais là, ce n’est pas lui. Il joue la comédie ! Il connaît tes sentiments à son égard. Il se sert d’eux pour que tu le libères ! Sonde son esprit et le mien ! Tu sauras alors qui te veut du mal !

      Estelle hésita. Elle se tourna vers Mikalyas en  fermant les yeux. Lorsqu’elle les rouvrit, les larmes se mirent à rouler le long de ses joues.

    - Mikalyas, tu as menti ! Tu es en train de penser à tout ce que tu me ferais subir si tu me tenais entre tes mains !

      Mikalyas ne put retenir un hurlement de rage.

    - Estelle ! Tu as laissé passer ta chance ! Lorsque Branag et moi régnerons sur Mystia, tu souffriras pour l’éternité !

      Cœlian ne bougea pas. Lorsque le regard vert embué se tourna vers lui, il ne cilla pas, laissant son esprit ouvert à la fouille qu’elle lui faisait subir. Contrairement à la première fois, il avait conscience de l’intrusion désagréable. Malgré son malaise, il n’interrompit pas sa recherche, comme ses nouvelles capacités auraient pu le lui permettre.

    - Je te demande pardon d’avoir douté de toi…

      Il recula d’un pas alors qu’elle avançait vers lui.

    - Oh, ne te méprends pas, sorcière de mon cœur. Je donnerais ma vie pour toi, mais je suis toujours fou de rage. Je ne compte pas te pardonner de sitôt ! Tu es épuisée. Va te coucher. Nous discuterons demain.

          Elle s’endormit blottie contre la panthère, inquiète des dernières paroles de Cœlian, mais rassurée par ce qu’elle avait trouvé dans son esprit. Puisqu’il l’aimait, rien n’était perdu.


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