• Rany s’observa une dernière fois dans le grand miroir en pied. Son père éclata de rire.

    « Qu’est-ce que tu es coquet aujourd’hui !

    - Je ne suis pas tous les jours le témoin au mariage d’un roi, père ! N’ai-je rien oublié ?

      Lestian étudia un instant l’uniforme d’apparat de son fils. Orianne pénétra dans la pièce.

    « Tu es beau comme un dieu, Rany ! Et ce jour est celui que j’attendais depuis si longtemps !

    - Eh ! Ce n’est pas moi qui me marie, maman ! Et je plains d’ailleurs la pauvre fille qui va se retrouver unie à ce dépravé !

    - Rany !

    - Mère, je ne suis plus aussi innocent que tu sembles le croire. Je suis l’aide de camp de mon cousin. Je sais à quoi il passe le plus clair de ses loisirs ! Les filles qui ont de la chance sortent de son lit avec seulement quelques bleus… »

      Orianne pâlit tandis que Lestian levait les yeux au ciel.

    « Tais-toi, Rany ! »

    - Que dis-tu ? insista la marquise.

    - Simplement que Moreth est un pervers de la pire espèce. Il a voulu m’entraîner dans ses petits jeux, jusqu’à ce qu’il comprenne que les filles se réfugiaient près de moi pour que je les protège. Il ne m’a plus jamais convié à y participer !

    - Tu as accompagné ton cousin avec des filles ? »

      Lestian sourit de l’air franchement choqué de sa femme.

    « Il a dix-neuf ans, Ory ! C’est un homme depuis un certain temps ! Allez, il ne faut surtout pas être en retard ! »

      Deux heures plus tard, Rany attendait quelques pas derrière Moreth l’arrivée de la nouvelle souveraine. Enfin, elle fit son entrée dans la grande salle du palais de Koralia. Accompagnée par une musique de cérémonie, elle s’avança lentement vers le roi, le visage dissimulé par un immense voile bleu pâle. Sa robe d’un bleu un peu plus foncé, brodée de perles irisées, brillait de mille feux. Tout le monde retint son souffle en la voyant s’avancer. Si son visage était aussi avenant que sa silhouette, l’Arkanie aurait une reine digne d’elle !

      Lorsqu’elle fut parvenue au pied du trône, Branag lui prit la main et la glissa dans celle de Moreth dont le sourire lubrique parut de mauvais augure à Rany. Le sorcier commença le discours traditionnel de l’union. Lorsque les deux épousés eurent prononcés les paroles rituelles, Moreth arracha brutalement le voile qui dissimulait le visage d’Iléane avant de s’emparer de sa bouche dans un baiser brutal et possessif.

    « Vive la reine Iléane ! Vive le roi Moreth ! »

      L’exclamation fut reprise en cœur par toute l’assistance, ravie de la beauté de la jeune fille. Rany, lui, resta muet. Il ne pouvait pas quitter des yeux la fragile adolescente qui souriait bravement en essayant de cacher la terreur qui s’était emparée d’elle. Ses yeux d’ambre brillaient de larmes contenues. Elle n’avait pas plus de quinze ans et son futur mari n’avait pas fait le moindre geste pour la rassurer, bien au contraire. Savoir qu’elle allait tomber dans le lit du débauché le plus dépravé qui soit lui brisa le cœur.

      Leurs regards se croisèrent une fraction de seconde et il en perdit le souffle, foudroyé sur place. La jeune reine se troubla également, écarquillant les yeux d’une manière enfantine.

      Le roi s’avança alors vers la salle des festins, entraînant sa jeune épouse avec lui. Le bref échange fut rompu, laissant Rany atterré.  Tout au long du festin, le jeune homme eut l’impression que son âme était séparée de son corps. Comme s’il était quelqu’un d’autre, il se voyait agir avec un parfait naturel, plaisanter avec ses voisins de table, applaudir au spectacle des baladins égayant le repas. Mais son cœur battait à se rompre quand il entendait le son de la voix d’Iléane.

      Enfin, vint la fin du banquet où par tradition le roi nouvellement marié distribuait récompenses et promotions.

    « Comte Casteryn de Queffelec ! Pour étendre et renforcer les liens entre la Cité Lumineuse et l’Arkanie, j’invite votre fils cadet à venir commencer sa formation d’écuyer à Koralia ! »

      Le jeune garçon d’une dizaine d’années vint faire une profonde révérence, et se vit confié par maître Taanlim. Le comte et la comtesse s’inclinèrent avec grâce. Branag de Quervy était sur le point de prendre la parole lorsque Moreth continua, à la stupéfaction générale.

    « Rany de Mirel ! »

      Ce dernier sursauta. Tremblant intérieurement, il vint mettre un genou à terre devant son roi, comme l’exigeait la coutume.

    « Pour récompenser la loyauté dont tu as fait preuve envers moi depuis notre enfance et te témoigner la confiance que je te témoigne, je te nomme Grand Ambassadeur Royal détaché à la Cité Lumineuse. »

      Des bruissements se firent entendre dans l’assistance. Même Branag eut l’air abasourdi. La Cité Lumineuse était une ville indépendante voisine de l’Arkanie, située à proximité des territoires Warjanyans. Le refus du comte de Queffelec de fournir ses armées pour attaquer les dragons guérisseurs avait provoqué quelques tensions. La décision d’inviter son fils avait été négociée la veille, en échange de sa neutralité. Mais lui imposer un espion arkanien, même avec ce titre ronflant d’Ambassadeur Royal, était un affront direct auquel il ne pouvait pas riposter. Car son fils était désormais un otage.

      Contraint par le protocole, Rany inclina la tête en guise de remerciement. Le sourire dur et narquois de son cousin lui fit comprendre la réalité glaçante : le roi avait perçu sa fascination pour la reine et maquillait juste un exil forcé en honneur incroyable pour un chevalier si jeune. Ce que confirma son ton mielleux :

    « Je t’en prie, Rany, rends donc hommage à ta reine avant de partir accomplir ton devoir ! »

      Sous le regard moqueur de Moreth, il s’agenouilla donc devant Iléane qui lui tendit sa main à baiser. Il s’exécuta, tremblant d’émotion. Lorsqu’il se releva, le souverain prit sa femme par la taille d’un air à la fois possessif et satisfait, lui laissant un goût amer dans la bouche. Il sentit pour la première fois son dégoût pour Moreth prendre le pas sur sa loyauté.

     


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