• Naéma roula sur le sol dur de la caverne. Il n’y avait plus aucun retour en arrière possible. En un geste un peu dérisoire, elle regarda derrière elle mais son regard ne rencontra que la paroi sombre de la grotte et les deux chevaux un peu affolés qui portaient son paquetage. Elle resta immobile, flattant leur encolure de la main, le temps de s’habituer à l’obscurité ambiante. L’atelier de maître Rinaldi était occupé peu de temps avant son arrivée, vu les braises qui rougeoyaient dans l’âtre devant l’entrée. Elle s’avança un peu. Elle se mordit les lèvres en découvrant l’état des lieux. Tout avait été saccagé : une table couverte de parchemins avait été fendue comme par une hache, des cornues avaient été renversées et brisées au sol. Les récits de Karystean lui revinrent en mémoire. Les prêtres intolérants, qui voyaient en toute tentative de connaissance un blasphème contre leur dieu, étaient probablement passés par là.

    « Pourvu qu’ils n’aient trouvés personne ! » songea-t-elle. Autour de son cou, le "témoin", un éclat de cristal sombre, jeta un éclair bleuté. Elle avança vers l’athanor, le fourneau d’alchimiste dont elle avait vu une réplique exacte dans la grotte de Karystean des Brumes. Sa lourde porte en bronze avait été à moitié arrachée. Elle constata que le brasier était encore vif : il était rempli à un quart de bois et pouvait sans doute brûler encore un bon mois. Naéma se demanda si elle n’avait pas rêvé. Pourtant le "témoin" étincela de nouveau. Elle sortit de la caverne avec précaution. Une source d’eau claire coulait tout près de là. Elle s’empara à la hâte d’un seau. Il lui fallut plusieurs heures pour parvenir à éteindre complètement le brasier de l’athanor. Lorsqu’elle eut terminé, elle fourragea dans les braises humides. Elle en sortit un coffret en métal froid qu’elle ouvrit. Avec un soupir émerveillé, elle découvrit le pendentif de cristal sombre, symbole du royaume d’Arkanie. Elle le passa autour de son cou et le dissimula sous sa tunique. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à trouver le seigneur Léry et le ramener à Koralia…

      Après ses efforts, la jeune femme fit une toilette sommaire dans la rivière proche puis grimpa en selle, pressée de d’accomplir la suite de sa mission.

    « Holà ! Étranger ! »

      Elle fit face à l’inconnu. Aux inconnus, car ils étaient trois. « Voilà un doute à rayer ! songea-t-elle. Je les comprends… La réciproque est-elle vraie ? »

    - Bonjour, messires…

    - Bon sang ! Une jouvencelle ! s’exclama l’un d’eux.

    - Vêtue comme un gars !

    - Un gars bizarre alors !

    - Mon nom est Naéma d’Amariel… ajouta-t-elle sachant que le "de" était censé lui offrir le respect des hommes. Mon frère et notre escorte ont été attaqués par une bande de brigands, il y a deux jours… Avant de mourir, mon frère m’a ordonné de me réfugier chez Paola Rinaldi, la sœur de notre mère…

      Les soldats s’étaient arrêtés de plaisanter à l’énoncé de ce nom. Ils échangèrent un regard entendu.

    - D’où venez-vous ?

    - Du comté de Toulouse, en France.

    - Damoiselle d’Amariel… Paola Rinaldi est morte il y a deux mois…

    - Morte ! Non ! C’est impossible !

    - Si damoiselle… Elle était gravement malade… Sûrement empoisonnée par son mari, un sorcier satanique…

    - Un sorcier ?

      Naéma sursauta. Les paroles de Karystean résonnaient encore à sa mémoire.

    - Oui damoiselle, un sorcier infâme qui sera brûlé ce soir en place publique…

    - Et Léry ?

    - Qui ça ?

    - Le fils de Paola ! Mon cousin !

    - Vous voulez parler de Lorenzo ? On le soupçonne aussi d’être un sorcier. Il est dans les geôles de l’enquêteur. S’il est de votre famille, je pense que notre inquisiteur souhaitera vous rencontrer ! Et vous aurez ainsi des nouvelles de votre cousin. »

      Naéma n’hésita pas une seconde : la proposition était faite sur un ton courtois, mais ce n’était pas une invitation qu’on pouvait refuser. En les prenant par surprise, elle s’en débarrasserait vite… Mais si elle les suivait, elle approcherait peut-être son seigneur…

    « Je vous suis ! Mais j’espère que mon cousin a été bien traité ! Sinon, j’en aviserai le roi de France ! »

      Un peu ébranlés, les soldats décidèrent de ne pas la traiter trop ostensiblement en prisonnière. Naéma parvint donc à la prison, encadrée par les trois soldats. Elle fut amenée, fermement, mais avec déférence, jusqu’à la grande pièce où se tenait l’envoyé du Vatican.

    « Que faites-vous ici ? gronda Alfonso Rivoli. Vous êtes censés surveiller la ferme Rinaldi !

    - Justement, mon père ! Nous avons trouvé cette jeune femme aux abords de la ferme. Elle…

    - Je suis Naéma d’Amariel, monseigneur… coupa l’amazone en s’inclinant devant le prêtre. Je suis la nièce de Paola de Rohan, l’épouse de maître Niccolo Rinaldi. J’arrive de France et mon escorte a été attaquée. Mon frère Anthony d’Amariel a été assassiné par nos agresseurs… J’ai réussi à m’enfuir et suis venue me mettre sous la protection de ma tante Paola.

      Le prêtre resta figé un quart de seconde.

    - Vous ? Nièce du sorcier…

    - Nièce de Paola ! rectifia la jeune femme avec hauteur. Où est mon cousin ? Mon père bénéficie de l’amitié du roi de France avec qui il a été adoubé chevalier. J’exige sa libération !

    - Vous n’avez aucun ordre à me donner, damoiselle ! Votre oncle sera brûlé vif dans quelques instants. Votre cousin est également un sorcier, j’en suis convaincu ! Et j’ai peur que vous ne soyez également de cette engeance maudite… Votre insolence, vos exigences face à un enquêteur mandaté par Sa Sainteté le pape… J’ai bien peur qu’il ne me faille vous interroger plus en détail ! » 

      Naéma ferma les yeux face au regard qui n’avait rien de chaste de l’ecclésiastique ;  elle avait fait preuve de trop d’arrogance ! Pourtant, Karystean l’avait bien prévenue…

    « Emparez-vous d’elle ! Et ligotez-là dans ma chambre. Qu’elle attende nue que je préside la mise à mort du suppôt de Satan ! » 

      Les trois soldats s’approchèrent d’un air menaçant dès que l’inquisiteur eut quitté la pièce. Elle réagit aussitôt, dégaina les deux dagues dissimulées dans ses manches. Ce n’était que des soudards lourdauds. Elle les mit hors d’état de nuire en quelques instants. Elle soupira en songeant aux paroles de l’inquisiteur. Elle n’avait aucune chance de sauver le père adoptif du duc de Kilmar mais ce dernier n’était pas encore jugé. Sans doute le forcerait-on à assister à l’exécution… Elle descendit sans bruit jusqu’aux écuries où elle retrouva ses deux chevaux et ses sacoches intactes.

    « Eh ! Vous… »

      Naéma réagit instinctivement et le lad se retrouva assommé dans la paille. Il ne lui restait qu’à rejoindre la foule des badauds.


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