• « Père ? Noooooon ! »

      Naéma se réveilla en sursaut, constata d’un coup d’œil que le soleil venait de se lever et qu’ils étaient toujours seuls dans la clairière. Lorenzo se débattait les yeux fermés. Il hurla de nouveau. Elle se leva et le secoua doucement par l’épaule.

    « Seigneur Lorenzo ? Mon seigneur ! Réveillez-vous ! Vous faites un cauchemar ! »

      Le jeune homme ouvrit les yeux et les referma aussi vite. « Naéma ? Mais alors, rien de tout ça n’était un rêve ! Mon père est vraiment mort…

    - Je suis vraiment désolée… murmura-t-elle. Je n’ai rien pu faire d’autre…

    « Laissez-moi ! » supplia-t-il en sentant ses yeux s’inonder sans qu’il puisse endiguer le flot de ses larmes. « Laissez-moi seul, s’il vous plaît ! Je vous en prie ! »

      Naéma s’éloigna aussitôt, pas assez vite cependant pour ne pas entendre les sanglots qui déchiraient la gorge de son suzerain. Elle en eut le cœur serré mais elle savait qu’elle devait le laisser tranquille. Il fallait qu’il soit seul pour pleurer son père… Maudit Branag ! Sans ses manigances, Léry aurait vécu une vie paisible avec ses parents… Il n’aurait pas eu à subir une telle souffrance.

      Elle disparut dans la forêt pendant deux bonnes heures, laissant à Lorenzo le temps de se calmer complètement. Il finit par partir à sa recherche, inquiet.

    « Naéma ? Naéma ! Où êtes-vous ?

    - Ici, mon seigneur ! répondit instantanément la jeune fille. Tout près de vous.

    - Je ne vous vois pas !

    - Derrière les ronces, il y a des mûriers…

    - Des mûres ! Laissez m’en ! s’exclama-t-il en la rejoignant à la hâte.

      Ils firent un festin de baies avant que Lorenzo ne se remémore la situation actuelle.

    « Naéma… Merci… Merci pour tout ! Pour hier et pour ce matin… Sans vous, cet inquisiteur serait probablement en train de m’arracher les ongles… Sans vous, j’ignorerai tout de mon passé et de ma famille… Sans vous mon père…

      La jeune fille rougit :

    - Mon seigneur, je suis à votre service… Pour vous ramener chez vous…

      Il tressaillit.

    - Chez moi… lâcha-t-il d’un ton amer. C’était dans une ferme à quelques lieues d’ici, avec mes parents qui sont morts et des gens que je croyais nos amis… Qui n’ont pas hésité à le renier… À nous renier… Vous avez raison, Naéma. Ramenez-moi donc là où est ma… Non ! Ma mère était Paola Rinaldi… Mais j’irai quand même ! Il m’est impossible de rester ici de toute façon. Même si j’ai réussi à museler l’envoyé du Vatican, ce dont je doute, Rome en enverra un autre… 

    - Messire Léry… Je comprends votre désarroi et votre colère… Mais vous devez rester calme, à tout prix. Car c’est sur vous que repose notre retour. Je suis incapable de retourner sur Mystia sans vous.

    - Comment ça ?

      Naéma soupira, elle avait l’intuition que ça n’allait pas lui plaire.

    - Nous n’avons pas reparlé de ce qui s’est passé sur la place, quand vous vous êtes libérés des chaînes…

    - Quand vous m’avez libéré ! corrigea-t-il d’un ton interrogateur.

    - Non, mon seigneur ! Tout ce que j’ai fait, c’est laisser les rayons du soleil vous toucher à travers le cristal, comme maître Karystean me l’avait expliqué. Ceci a annulé un sortilège qui rendait votre magie inopérante.

    - Ma magie ?

    - Oui, mon seigneur. Vous aviez ce don en naissant… Maître Gwirreg vous a désactivé, car ici, vous auriez pu mettre votre vie en danger, en pratiquant la magie sans vous en rendre compte… Mais c’est votre propre pouvoir qui vous a libéré des chaînes. Moi, je peux prononcer toutes les formules que je veux, il ne se passera jamais rien !

    - Vous avez encore d’autres bonnes nouvelles dans ce genre ? Au point où j’en suis ?

      Naéma ne put retenir un sourire devant sa mine déconfite.

    - Je vous ai tout raconté, hier… Occupons-nous d’abord de trouver le portail entre les deux mondes, mon seigneur.

    - Vous devez savoir où il se trouve, amazone ! s’étonna Lorenzo. Vous êtes bien arrivée quelque part !

      La jeune fille secoua la tête.

    - Ce portail fonctionne différemment. Il ne fait office que de porte de sortie.

    - Comment ça ?

    - Je ne le comprends pas moi-même, n’ayant pas la plus petite notion de magie, mais pour quitter votre monde, nous devons passer par une "porte", tandis que notre arrivée sur Mystia peut se faire n’importe où… Je suis moi-même arrivée à l’intérieur de l’atelier d’alchimie de votre père adoptif…

      Un souvenir effleura soudain sa mémoire.

    - Les derniers mots de mon père, il m’a dit que le portail était au pic de l’Ours !

    - C’est la direction indiquée par Karystean. Je vous suis, mon seigneur. »

      Les jeunes gens cheminèrent trois jours dans la forêt épaisse qui couvrait le relief avant de découvrir la caverne qui s’ouvrait sur une clairière. Une cascade jaillissait de la roche juste à côté, rendant le lieu verdoyant. Naéma mit pied à terre près du petit torrent, laissant sa monture se désaltérer.

    « Vous aviez raison, c’est ici, messire de Kilmar… »

      Lorenzo haussa un sourcil interrogateur.

    - Et comment savez-vous une chose pareille, amazone ?

    - Le cristal sombre, mon seigneur ! Regardez ! »

      Il baissa les yeux vers son torse : le pendentif émettait une légère lumière bleutée, de plus en plus perceptible avec la tombée de la nuit.

    « Quelle est cette diablerie ?

    - Le diable n’est pour rien là-dedans ! C’est tout naturel ! Simplement, la magie de votre cristal entre en résonance avec le portail que nous cherchons !

    - La magie… Comment voulez-vous que je trouve ça naturel, Naéma ! Depuis mon plus jeune âge, on m’a enseigné que la sorcellerie n’était qu’œuvre de démon et de sorcières…

    - Vous oubliez les anges, mon seigneur !

    - Les anges ?

    - Les sorciers et les sorcières sont, comme je vous l’ai expliqué, des êtres très puissants, à la jeunesse éternelle, si nul ne vient trancher le fil de leur vie, ou s’ils ne choisissent pas de donner eux-mêmes la vie. La plupart des sorciers ou sorcières sont liés à un ange. C’est un humain dont les pouvoirs sont essentiellement défensifs, qui a une durée de vie normale et qui cherche toujours à protéger le sorcier à qui il est associé. Lorsqu’ils perdent ce sorcier, on les appelle des démons.

    - Que suis-je donc ?

    - Karystean pensait que vous étiez un ange gardien, mais il ignorait qui était votre protégé… Vous étiez trop jeune.

      Lorenzo leva les yeux au ciel. Cette fois, c’était trop ! Un ange gardien ! Pourquoi pas un archange, comme cet illuminé de Michelangelo Buonarotti le lui avait répété ce jour funeste, qui avait vu mourir sa mère !

    - Où sont mes ailes et mon auréole ?

      Naéma le regarda interloquée.

    « Je ne comprends pas bien, messire Lorenzo ?

    - Chez nous, les anges sont de magnifiques créatures asexuées, des hommes très féminins dans leur allure, avec d’immenses ailes de plumes blanches dans le dos, qui accompagnent les humains vers le Paradis, le jour du jugement dernier… Ils incarnent la pureté et l’innocence… Et un démon est un ange déchu, un être hideux avec des petites cornes, des pieds de bouc et une queue fourchue !

    L’amazone sursauta en entendant sa description.

    - Vous n’êtes certes pas un démon selon votre description ! s’exclama-t-elle sans réfléchir. Vous êtes trop beau pour ça ! »

    Elle devint brusquement écarlate. Lorenzo eut un sourire amusé qui la troubla davantage.

    « Si ce n’était pas un cri du cœur, ça ! commenta-t-il. Comme ça, mon amazone me trouve beau !

    - Mais certainement pas angélique à votre définition ! rétorqua-t-elle, dans un sursaut d’orgueil. »

     Il l’observa avec attention. Elle baissa le regard, gênée, avant de détourner la conversation.

    « Bon, nous y allons ? »

      Lorenzo hésita, le cœur serré.

    - Nous aurions peut-être intérêt à prendre repos ici, ne pensez-vous pas ? »

      L’amazone hocha la tête, comprenant que c’était difficile, pour lui, d’abandonner le monde où il avait grandi.


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