• « Maintenant que Naéma est partie, il nous faut peut-être regarder les choses en face ! » lança Karystean des Brumes à son retoiur. Il se laissa tomber dans l’herbe à côté des dragons, épuisé par son transfert magique de la jeune fille. Lyanis lui tendit la fiole qu’il avait préparée avant son départ, pour restaurer l’énergie brûlée pendant le transport.

    - Que voulez-vous dire exactement ? s’enquit la Warjanyane étonnée.

    - Que ramener le jeune duc Léry ne suffira pas à renverser Branag ! » expliqua Lauréan.

      Karystean hocha la tête.

    « Il a de nombreux alliés dans le palais, à commencer par mon frère Sandrun.

    - Votre frère ?

    - C’est un de ses disciples, le plus puissant sans doute. C’est lui qui est actuellement chargé de surveiller Iléane.

    - Pourquoi surveiller la reine ? Elle est encore si jeune ! Elle adule son époux ! protesta Lyanis.

    - Elle n’adule rien ni personne ! coupa Karystean. Elle est sous contrôle. Comme elle n’a pas eu d’apprentissage, elle ne maîtrise pas suffisamment son pouvoir de sorcière. Sandrun a très facilement assujetti son esprit pour la rendre docile.

    - La reine est une sorcière ! s’exclama Lyanis. C’est inouï !

    - Ce n’est pas tout à fait inattendu ! murmura Lauréan. Il veut se créer un disciple, je suppose.

    - C’est exactement ça. Branag a choisi Iléane pour Moreth. S’il veut conserver son immortalité de sorcier, il ne peut avoir de descendance. Or il a besoin d’un héritier, d’un second en qui avoir confiance. Sandrun lui est soumis, mais pas de son plein gré non plus. Quervy savait que la magie existait dans la lignée royale. Le roi Karel n’avait pas ce don, mais sa sœur Aura l’avait comme leur grand-mère avant eux. En choisissant une sorcière pour Moreth, Branag espérait bien se créer un fils à qui transmettre tous ses secrets.

    - Mais comment savez-vous tout ça ? s’inquiéta Lyanis.

    - Tout le monde au palais n’est pas aussi aveugle que ce qu’on pourrait le croire. L’exécution des Amariel puis de Gwirreg Mornay a ouvert bien des yeux. Depuis, un réseau de résistance passive s’est créé, dont le chef n’est pas dans Koralia. Nous savons ce dont Branag a besoin et qu’il ne peut pas générer par magie. Nous faisons tout pour le contrer à ce niveau-là. Par exemple, il a besoin d’énormément de pierres précieuses, émeraudes et améthystes en particulier. Il essaye de recréer le talisman de protection légendaire. Alors, nous essayons de rompre ses approvisionnements de toutes les manières possibles. Et nous y réussissons plutôt pas mal, pour l’instant !

    - Le talisman légendaire ! souffla Lyanis. S’il y parvient, nous risquons de ne pas pouvoir faire grand-chose contre lui…

      Lauréan secoua la tête.

    « On verra ça en temps utile, petite violette ! Commençons plutôt par le commencement. Il est bon de savoir que nous ne sommes pas seuls dans cette lutte. Vous disiez qu’Iléane est une sorcière ?

    - Contrôlée par Sandrun, donc par Branag. Si nous pouvions rassembler toute la famille royale loin de l’influence de Branag, nous pourrions envisager de l’affaiblir. Mais pour Moreth, je crois que c’est une cause désespérée. »

      Soudain, les trois conspirateurs se turent, entendant un bruit de cavalcade loin dans la forêt.

    « C’est un gamin qui arrive… commenta Lauréan.

    - Un gamin ? s’étonna le sorcier. Comment le savez-vous ?

    - Je distingue les auras à des kilomètres. Oui, c’est un certain Rany…

    - Rany de Mirel ? Ce n’est certes pas un gamin ! Il doit avoir environ trente ans ! s’exclama Karystean.

    - C’est bien ce que je disais ! confirma Lauréan. Un gamin par rapport à mes neuf cent soixante-dix-huit ans !

    - Que devez-vous alors penser de moi, avec mes cinquante–deux ans ! dit le sorcier amusé.

    - Vous ne les faites pas ! On vous en donnerait à peine vingt-cinq ! plaisanta Lyanis.

    - Ce Rany, est-il fiable ? insista l’Yphaste.

    - À cent pour cent. Il est revenu de la Cité Lumineuse depuis six mois où Moreth l’avait envoyé comme ambassadeur pour récompenser sa loyauté. Le roi l’a maintenant nommé chef de la garde de Koralia et maître d’armes de son fils. Il est son proche cousin. Ils ont grandi ensemble, avec les mêmes précepteurs. Mais ils n’ont pas évolué de la même manière ! Lorsque l’Arkanie a commencé à menacer Fyst et la Cité Lumineuse, il a été rappelé de son poste d’ambassadeur. Il était désespéré de l’attitude belliqueuse de son cousin. Il ne m’a alors pas été difficile de le convaincre de se joindre à notre rébellion. Ce qu’il ne sait pas, par contre, c’est que c’est son père le principal organisateur de notre mouvement.

    - Votre Rany est grièvement blessé… ajouta Lyanis inquiète, percevant à son tour l’aura du chevalier. Il vous cherche Karystean… Il s’est passé quelque chose à Koralia ! Mais son esprit est confus…

      Quelques instants plus tard, le chevalier déboula dans la clairière, manifestement à bout de forces. Lauréan l’empêcha de dégringoler de cheval. Il l’installa sur la couche de Karystean. Le jeune homme était couvert d’ecchymoses et son épaule était en sang. Lyanis murmura une formule qui referma sa blessure. Le blessé cligna des yeux et se redressa brusquement, l’air affolé.

    - Maître Karystean ! C’est une catastrophe ! La cité de Fyst est tombée ! C’est un carnage. Branag l’a rebaptisée Cité Perdue ! Toute la population en a été soit exterminée, soit chassée ! Il a fait exécuter tous les membres de la famille princière de Fyst ! Même les femmes et les enfants ! La plus jeune avait six mois et ils l’ont massacrée dans les bras de son père !

    - Fyst est tombée ! soupira Karystean. La puissance de Branag va en être grandement renforcée…

    - Qui sont ces gens bizarres ? demanda le blessé d’un air suspicieux en tournant son regard vert en direction des dragons.

    - Nous sommes probablement les derniers survivants de l’espèce draconique. dit Lyanis d’un ton neutre.

    - Les derniers… dragons ! Des vrais ? souffla le jeune homme, incrédule.

      Lyanis sourit de son air enfantin. Elle caressa son front, projetant dans son esprit la vision de leur véritable apparence.

    - Mais… Vous n’êtes pas censés vouloir détruire tous les humains ? Non, évidemment, se reprit-il. Je suppose que ça aussi, c’était un mensonge de ce fichu sorcier !

      Lauréan hocha la tête.

    « Branag de Quervy est très puissant, sa force de persuasion immense. Et il a espionné mon peuple pendant de nombreuses années, avant de lancer son offensive contre nous !

    - Son offensive ? Que voulez-vous dire ? Vous ne vous êtes pas entretués tous seuls ? »

      Lyanis résuma en quelques mots le sort de discorde et les mensonges de Branag. Rany de Mirel poussa un soupir gêné, songeant qu’il ne s’était jamais vraiment soucié de savoir si cette croisade contre les dragons était justifiée ou non.

    « Qu’en est-il de la famille de Moreth ? s’enquit Karystean.

    - Tante Aura est égale à elle–même, soumise corps et âme à Branag, hautaine et glaciale. Peut-être même encore plus soumise depuis que son amazone s’est enfuie avec un ménestrel. Il en a fait des jaloux, celui-là ! Ils étaient nombreux à la trouver à leur goût, la petite Naéma ! »

      Lauréan pouffa tandis que Lyanis le fusillait du regard. Rany haussa un sourcil interrogatif mais Karystean lui fit signe de continuer.

    - Le petit prince déteste de plus en plus son père et le sorcier. Il ne se prive pas de le dire et de le montrer. Ce qui lui a valu quelques désagréments : Moreth l’a fouetté et enfermé au cachot, il y a une semaine. Juste parce qu’il l'a accusé d’être un criminel pour avoir massacré les habitants de Fyst. Iléane l’a imploré de n’en rien faire, mais l’intervention de Sandrun des Brumes l’a réduite au silence. Il lui a fait oublier jusqu’à son existence… » Il rosit brusquement. « C’est si malheureux de voir cette jeune femme errer tristement dans le château à la recherche de quelque chose dont elle ne se rappelle plus ! Mais je crains le pire. Branag va finir par se lasser de la reine et de ce garçon réfractaire à ses sortilèges qu’il ne peut pas mener à sa guise !

    - On doit intervenir ! protesta Lyanis. Il faut les tirer de là ! »

      Rany acquiesça vigoureusement. Karystean reprit :

    « Tant qu’ils ne sont pas à l’abri, il est évident que Branag peut les utiliser pour se protéger. La population aime son petit prince, même si elle déteste son père. Et personne ne voudra lui faire courir le moindre risque.

    - Alors, nous devons les mettre à l’abri pour contrecarrer Branag.

    - Avant que Sandrun le renvoie auprès de Quervy, le roi a annoncé que le prochain objectif est la conquête de la Cité Lumineuse par les armes… murmura Rany. L’armée de Moreth est en train de piller Fyst. Elle s’y repose avant de se diriger vers la ville du comte de Queffelec. Le baron de Jolande est venu pour le soutenir, mais je ne pense pas que ça suffira à arrêter l’armée d’Arkanie, si Branag est à sa tête. Si les territoires du Nord sont annexés, il aura la mainmise sur tout Mystia… »

      Lyanis observa Lauréan à la dérobée. L’Yphaste semblait pensif mais elle eut soudain une vision étrange : elle le vit sous sa forme de dragon, étendu sur le flanc, misérable et impuissant, hurlant son désespoir.

    « Non ! » cria-t-elle avant de cligner des yeux. Sa vision changea : il souriait aux anges en soulevant dans ses bras un bébé de forme humaine qui gazouillait… Leur fille… Ce qui signifiait…

    - Lyanis ! Que se passe-t-il ? Tu as eu une prémonition ?

      Elle écarquilla les yeux.

    - Comment sais-tu…

    - Ta mère était une clairvoyante comme mon oncle. Et à chacune de ses visions, ce dernier avait le même regard que toi !

      Elle soupira. « J’ai vu le pire, puis le meilleur. Je ne veux pas en parler, car toujours en mouvement est l’avenir. Qu’allons-nous faire ? »

      Karystean se dressa.

    « Lauréan, vous et Lyanis allez vous charger de contrer Branag en défendant la Cité Lumineuse. Rany et moi allons délivrer Iléane et Aslyan. »


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