• Sandrun et Karystean restèrent muets en arrivant devant la grande plaine dominée par la splendide cité de Queffelec. Un massacre était en train de se dérouler : l’armée arkanienne, abandonnée de Branag, dirigée en dépit du bon sens par Moreth, avait de plus en plus de mal à résister aux assauts défensifs de ses adversaires. Un Yphaste aux écailles vert émeraude renforçait les attaques des troupes qui résistaient aux arkaniens.

    « Regarde mon frère ! »

      Karystean suivit la direction indiquée par Sandrun.

    « C’est Lauréan qui aide les assiégés.

    - C’est ce Lauréan-là ! Alors Moreth n’en a plus pour longtemps ! Je le connais suffisamment pour savoir qu’il n’a aucune chance contre le génie stratégique d’un prince du royaume d’Ypheas ! Regarde ! Cet imbécile fait battre en retraite ! Tant mieux pour les pauvres soldats arkaniens.

    - Avec un tel fiasco, nous n’aurons aucun mal à imposer la destitution du roi… »

      Les deux sorciers profitèrent de la débandade arkanienne pour rejoindre le pied des remparts. Lyanis, sous forme humaine, commençait à utiliser son pouvoir de guérisseuse. Son soulagement fut manifeste lorsqu’elle les aperçut.

    « Karystean ! Vous tombez bien ! Il y a trop de blessés pour que je puisse faire face seule ! Et… »

      Elle s’interrompit en reconnaissant le disciple de Branag. Sandrun baissa les yeux devant la méfiance exprimée par la jeune femme.

    « J’ai commis des choses horribles sous l’emprise de Quervy, mais… »

      La Warjanyane força brutalement la barrière mentale du sorcier qui gémit sous le choc, sans pour autant essayer de résister. Karystean soutenait son frère. Lyanis relâcha brusquement son emprise, le visage plus détendu.

    « Il est impossible de résister à un sortilège comme celui auquel vous avez été soumis, Sandrun des Brumes, sans un soutien Yphaste. Je ne peux pas vous tenir rigueur des actes que Quervy a commis en se servant de vous comme d’un autre lui-même. Vous voulez bien m’aider, vous aussi ? »

      Le sorcier hocha la tête avec soulagement. Ils se mirent au travail, essayant d’apaiser les blessures des victimes des deux camps. La nuit était sur le point de tomber lorsqu’un éclair blanc illumina brusquement le camp des arkaniens. Un hurlement de rage s’éleva, strident et Sandrun frémit.

    « Branag vient d’arriver. Il a découvert le revers subi par l’armée arkanienne. Je n’aimerai pas être à la place de Moreth ! »

      Lauréan les rejoignit bientôt. Sa compagne le métamorphosa en humain avant de lui tendre un pantalon. Il fit la grimace.

    « Quelles nouvelles ?

    - L’arrivée fracassante de Branag ! commenta Lyanis. Il est furieux.

    - Alors, je crois qu’il est temps d’agir maintenant ! Sous forme humaine, je serai trop vulnérable, ma violette ! Ma seule chance d’en finir, c’est comme guerrier Yphaste. Vous devez retourner à Koralia, pour faire accepter le petit prince comme nouveau roi, puisque l’amazone a ramené le cœur d’Arkanie !

      Lyanis serra brièvement son amoureux contre elle, son inquiétude transparaissant dans son regard écarlate. Lauréan l’embrassa tendrement.

    « Ne t’inquiète pas, ma violette ! Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement ! Branag sera vaincu !

    - Je le sais, Lauréan ! Reviens vite ! »

      Elle murmura le sortilège qui lui rendit sa forme initiale et il s’envola. La jeune femme eut alors l’impression affreuse de le voir pour la dernière fois.

    « Tout va bien ?

    - Ne vous inquiétez pas, Karystean ! Simple angoisse d’amoureuse ! Allons-y, nous aussi avons du pain sur la planche !

    - Nous n’avons pas besoin d’aller tous participer à la révolte à Koralia. coupa Sandrun. Si vous m’y autorisez, je resterai ici pour continuer à soigner les blessés… »

      La guérisseuse hocha la tête.

    « Je vous en prie, Sandrun… »

     ♦♦♦

       Rany poussa un soupir agacé. Où étaient-ils donc passés ? Il savait que Lorenzo et sa mère avaient surmonté leur gêne et faisaient maintenant connaissance en privé. Mais le temps leur était compté et… Le jardin d’hiver de sa mère ! Il traversa le parc et resta un instant à l’entrée de la serre. Aura pleurait doucement tandis que Lorenzo lui racontait la mort de ses parents adoptifs.

    « J’aurai tant aimé les connaître, pour leur dire merci… »

    - Lorenzo ! Tante Aura ! intervint-il. Venez vite ! »

      Ils se dressèrent en sursaut.

    « Qu’y a-t-il donc, mon neveu ? Ne peux-tu pas…

    - Je suis navré, ma tante, mais Karystean des Brumes et la Warjanyane viennent d’arriver ! Ils vous attendent ! »

      Aura serra contre son cœur la main de son fils puis elle se leva en soupirant.

    « Viens, mon fils… »

      La petite réunion au sommet fut relativement brève, Karystean et Lestian ayant déjà tout prévu. Durant trois jours, la guérisseuse enseignerait à Lorenzo à découvrir ses dons d’ange gardien. Pendant ce temps, Lestian et Rany organiseraient le ralliement des troupes hostiles à l’actuel souverain d’Arkanie et leur marche sur Koralia. Aslyan serait officiellement proclamé roi à leur arrivée.

      Deux jours plus tard, Sandrun des Brumes se matérialisa devant le manoir des Mirel. Il n’avait pas revu la reine depuis que son frère l’avait libéré du sortilège. Malheureusement, le souvenir de ses actions pour contrôler Iléane n’avait pas disparu en même temps que les enchantements. Un profond soupir lui échappa tandis que le marquis de Mirel s’avançait pour l’accueillir.

    « Quelles nouvelles, Sandrun ?

    - Il faut absolument que je parle à la reine en priorité… rétorqua-t-il.

    - À la reine ? Lestian comprit. Je vous conduis auprès d’elle ! »

      Quelques instants plus tard, le sorcier mal à l’aise était introduit dans le petit salon. La reine, rêveuse, regardait par la fenêtre son fils apprendre l’art de l’épée avec Rany de Mirel.

    « Ma reine… »

      La jeune femme blêmit. Son visage se crispa, comme sous l’effet d’une grande frayeur.

    « Vous… »

      Sandrun tomba à genoux.

    - Ma reine, ce que je vous ai fait ne quitte pas mon esprit. Je sais que c’est au delà de tout pardon. Mais je vous prie de supporter ma présence quelques minutes seulement. J’ai une nouvelle importante. »

      Iléane parvint à reprendre le contrôle de ses angoisses.

    « Non, Sandrun, je n’ai pas de pardon à vous accorder. Lyanis m’a expliqué l’envoûtement dont vous étiez victime. Mais elle ne me quittera jamais, cette sensation atroce qui m’a saisie lorsque je me suis rendu compte que j’avais oublié jusqu’à l’existence de mon fils… Parlez donc ? Quelle est cette nouvelle ?

    - Votre époux, ma reine… Le roi Moreth d’Arkanie…

    - Mais parlez donc !

    - Il est mort, il y a quelques heures, ma reine… Il a été gravement blessé lors du dernier assaut, contré par l’Yphaste. Sa blessure s’est infectée, il a agonisé trois jours. »

      Sans qu’elle en soit vraiment consciente, le regard de la jeune femme glissa vers la fenêtre. Dans le jardin, Rany venait de rouler dans l’herbe, entraîné par le nouveau souverain d’Arkanie qui le bourrait de coups de poing pour rire. Il souleva le petit prince à bout de bras avant de le serrer contre son cœur.

      Elle était donc libre, enfin libre… Une larme roula sur sa joue que le sorcier interpréta mal.

    « Je suis tellement navré, ma reine, d’être encore pour vous un oiseau de mauvais augure…

    - Non, Sandrun, il ne faut pas ! Mieux que quiconque, vous savez, vous, combien il m’a fait souffrir… Mon… époux n’était pas un roi que l’on regrettera. On se souviendra surtout de ses actes de violence et de débauche ! Aslyan n’aura plus rien à craindre de lui. Et moi, je vais enfin pouvoir réellement envisager un avenir… Laissez-moi le temps d’annoncer la nouvelle à mon fils puis rejoignez-nous avec tout le monde.

    - Ma reine… Vous n’avez nul besoin de moi pour reprendre le contrôle de Koralia. M’autorisez-vous à rejoindre le dragon Lauréan dans sa traque pour détruire Quervy ? »

      Une lueur féroce traversa le regard de la souveraine.

    « Faites-le disparaître à jamais ! » acquiesça-t-elle.


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