• Chapitre 17

      Malgré toutes les protestations de la jeune fille, ils ne prirent pas le chemin du retour avant qu’elle ne soit complètement rétablie. Cœlian veillait sur elle avec beaucoup de tendresse. Estelle ne pouvait s’empêcher de le taquiner en lui demandant où était passé son fichu caractère de démon. Il admit de bon cœur être venu la rejoindre parce qu’il s’inquiétait pour elle. Au bout de trois jours, il accepta enfin qu’ils se mettent en route. Tandis qu’ils chevauchaient, Estelle lui raconta encore une fois ce qui s’était passé dans la grotte. Cœlian secoua la tête, inquiet.

    - La Cité Perdue ? Tu ne m’en avais pas parlé !

    - Tu sais de quoi il s’agit ?

    - C’est un endroit qui ne signifie qu’angoisse et peur selon la légende. Personne n’a jamais pu la localiser. Cette cité est censée se trouver au nord de Koralia.

    - Il semblerait qu’un dragon y soit prisonnier. Je dois aller le libérer…

    - Nous devons aller le libérer ! corrigea Cœlian, en lui jetant un regard torve.

      Elle lui fit un sourire enjôleur.

    - Tu sais bien que je ne saurai plus me passer de toi, Cœlian ?

    - Ne me provoque pas, sorcière de mon cœur ! »

      Ils éclatèrent de rire simultanément. Soudain la jeune fille se figea, ses yeux roulant dans ses orbites, affolant son compagnon.

    - Estelle ! Qu’as-tu ? »

      La jeune sorcière secoua lentement la tête, comme pour effacer une impression désagréable, tandis que Cœlian s’emparait des rênes d’Alsved.

    - J’ai eu une vision, Cœlian.

    - Une vision… Raconte ! ordonna-t-il.

    - Les armées sombres de celui qui se fait appeler le prince d’Andral ont quitté la cité de Jolande, en direction de la Cité Lumineuse. J’ai dû être imprudente lorsque j’ai parlé à Mikalyas, Cœlian ! À cause de moi, il a avancé ses projets ! C’est une catastrophe ! Dans moins de deux jours, ils seront en vue des murailles !

    - Nous arriverons trop tard ! Nous sommes encore à une semaine de chevauchée !

      Estelle tourna vers lui son regard plein de larmes.

    - Cœlian, est-ce que tu me fais confiance ?

      Le feu dans ses yeux bleus traduisit sa surprise coléreuse.

    - Tu n’as pas le droit de douter de moi, sorcière !

      Elle déposa un léger baiser sur ses lèvres en guise d’excuses avant de descendre de cheval. Cœlian l’imita, observant sans comprendre la jeune fille ramasser des plantes dans le sous-bois.

    - Trouve-moi du bois pour faire un feu, Cœlian, s’il te plaît !

      Haussant les épaules, il obéit et quelques minutes après, Estelle faisait bouillir une étrange décoction dans un bol de terre cuite. Elle en versa la moitié dans une petite fiole qu’elle accrocha à sa ceinture. En faisant la grimace, elle avala l’autre moitié du breuvage amer qui diffusait une légère odeur anisée.

    - Qu’est-ce que tu fais ? s’enquit-il, curieux.

    - Je vais nous transporter chez Tryer. Seulement, la magie que je vais employer ne m’est pas naturelle. Elle nécessite pour moi une très grande quantité d’énergie. Ce que je viens de boire amplifie ma force magique. Lorsque nous serons arrivés, je vais sans doute m’effondrer sans connaissance. Surtout, ne t’affole pas ! Il faudra que tu me fasses boire de cette potion puis que tu me laisses dormir. Logiquement, je devrais me réveiller au bout d’une heure ou deux. Au pire, si j’ai mal dosé les plantes, le lendemain matin !

      Le chevalier écarquilla les yeux. Son cœur se mit à battre de plus en plus vite.

    - Tu vas nous… transporter ? Mais… Les chevaux, et Alya ?

    - Tout le monde ! C’est pour ça que mon énergie propre ne suffit pas. Ce n’est pas un don qui m’est inné. Bref, tu es d’accord ?

      Malgré son anxiété, Cœlian n’hésita pas.

    - Que dois-je faire ?

      La jeune fille sourit en enfourchant Alsved. Elle appela Alya qui vint se coucher à côté d’elle. Cœlian grimpa sur Morvack. Elle ferma les yeux, leva les paumes de ses mains vers le ciel et prononça plusieurs incantations dans une langue inconnue. Il eut soudain l’impression qu’un halo de lumière verte nimbait la jeune fille et les animaux… Lui aussi, d’ailleurs. Il se força à respirer calmement, pour ne pas céder à la panique. Un étrange vertige s’empara de lui. Il ferma les yeux avec la sensation de tomber.

    - Par la grande Déesse ! s’exclama-t-il, ébahi.

      Le décor neigeux et montagneux avait disparu, remplacé par le mur d’enceinte arrière de la cité de Queffelec.

    - Tu as réussi, Estelle ! s’écria-t-il en se tournant vers elle. Il réussit à la rattraper avant qu’elle ne s’écrase sur le sol, sans connaissance. Avec douceur, il l’installa devant lui. La panthère força le cheval d’Estelle à le suivre jusqu’à l’entrée du château de la Cité Lumineuse. Alertés par les gardes, Tryer et Ellynn accoururent tandis que Cœlian mettait pied à terre.

    - Chevalier ! Vous avez retrouvé Estelle !

      Il hocha la tête, anxieux.

    - Elle a abusé de ses forces. Je dois la conduire dans sa chambre, le plus vite possible ! »

      Ellynn fit signe au chevalier de la suivre. Le jeune homme installa Estelle sur sa couche, avec douceur. Puis, à la grande surprise de Tryer, il lui fit avaler le contenu d’un petit flacon.

    - Que s’est-il passé ? demanda le comte.

      Cœlian caressa doucement le front de la jeune fille avant de répondre.

    - Votre cousine a eu une vision. Les armées de Branag sont en route pour assiéger la Cité Lumineuse.

      Ellynn poussa un cri d’effroi.

    - Vous en êtes sûr ? s’enquit Tryer, le regard sombre.

    - Elle était pâle comme la mort lorsqu’elle m’a annoncé la nouvelle. Nous étions encore dans les montagnes. Elle a voulu nous transporter ici par magie. C’est pour cette raison qu’elle est sans connaissance. Êtes-vous prêt à soutenir un siège ?

      Le comte de Queffelec hocha la tête.

    - Nous avons bien travaillé depuis qu’Estelle est partie. Les travaux pour renforcer les fortifications sont terminés. Les réserves de nourriture ont été remplies, les puits protégés.

    - Alors, il n’y a plus qu’à attendre ! » conclut Cœlian, pensif.

     

     ◊◊◊

     

      Estelle reprit connaissance un peu moins de trois heures après leur arrivée. À son chevet, Ellynn poussa un soupir de soulagement lorsque son amie se souleva sur les coudes en clignant des yeux.

    - Estelle ! Comment te sens-tu ?

    - Pourrait être mieux ! » marmonna-t-elle, l’esprit embrumé, la bouche sèche. Elle essaya de se lever, mais ses jambes refusèrent de la porter.

    - Reste couchée, Estelle ! Tu as fait suffisamment d’efforts…

    - Ne t’inquiète donc pas ! Tout ce dont j’ai besoin, c’est de manger pour reconstituer mon énergie !

    - Alors, ne bouge pas ! Je vais te chercher de quoi te remonter ! »

      Moins d’une heure plus tard, les deux jeunes femmes rejoignirent Tryer et ses lieutenants sur les remparts de la ville. Le chevalier de Mandaly contemplait la plaine avec appréhension, se demandant si vraiment les visions d’Estelle allaient se révéler exactes. Il était partagé entre deux sentiments contradictoires : d’une part sa loyauté qui le poussait à courir prévenir le prince d’Arkanie, d’autre part le désir profondément ancré en lui de rester près d’Estelle pour la protéger.

    - Ma cousine, enfin ! »

      Tryer serra la jeune sorcière dans ses bras avant de l’observer d’un air dubitatif.

    - Dis-moi, Estelle, as-tu réellement eu une vision ?

    - Les armées de Branag seront ici demain soir au plus tard.

    - Bon, nous sommes prêt. Enfin autant que l’on peut l’être…

      Cœlian resta adossé aux créneaux, le regard fixé sur la jeune femme. Il poussa un petit soupir. Finalement, il regrettait leur campement solitaire dans la montagne. Ce n’était peut-être pas très confortable, mais au moins, il pouvait la serrer contre lui quand il le voulait, sans souci des autres. Il se retint de l’embrasser, songeant que son cousin risquait de le prendre mal. Elle était si belle ainsi… Sans qu’il s’en aperçoive, Ellynn s’était approchée de lui, amusée.

    - Alors, chevalier ? Vous rêvez ?

      Il sursauta. Le clin d’œil amical de la jeune femme le fit sourire.

    - En quelque sorte !

      Estelle tourna son regard clair vers lui. Son sourire le bouleversa. Il entendit soudain dans sa tête la voix de la jeune fille.

    « Cœlian, m’autorises-tu à annoncer nos fiançailles à mon cousin ? »

      Un peu surpris par la sensation étrange, il ne répondit pas tout de suite.

    « Alors ? » s’impatienta-t-elle.

      Avec un sourire tendre, il secoua la tête.

    « Hors de question ! C’est à moi que revient cet honneur ! » s’exclama-t-il, à la grande surprise des autres qui ne comprenaient pas à quoi il faisait allusion. « Comte Tryer, puis-je vous parler, en privé ? »

      La jeune femme sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine en les voyant s’éloigner sur le rempart.

    - Tu n’aurais pas quelque chose à m’avouer, murmura Ellyn à son oreille, avant que mon époux ne revienne vers nous ? Aurais-tu pris le démon de Mandaly dans tes filets ?

      Les joues écarlates, Estelle opina du chef, sans perdre de vue les deux hommes. La surprise de Tryer figea son visage avant qu’il n’éclate d’un rire tonitruant. Il riait encore lorsqu’ils revinrent vers eux. Cœlian semblait ravi.

    - Alors ça, c’est la dernière chose à laquelle je me serais attendu ! Quoique… Vos échanges de la dernière fois étaient bien trop passionnés pour traduire de l’indifférence. Estelle, le chevalier de Mandaly me demande ta main. Es-tu sûre de l’aimer ?

    - De tout mon cœur !

    - Voilà qui ne risque pas de faire taire votre réputation, chevalier ! Avec une sorcière pour femme, vous serez encore plus qu’avant le démon de Mandaly ! Oh ! s’exclama-t-il comme s’il oubliait quelque chose. Évidemment, en tant que tuteur de ma cousine, je donne mon accord ! Chevalier, vous pouvez embrasser votre fiancée ! »

      Cœlian ne se le fit pas répéter. Il attira la jeune femme contre lui.

     

     ◊◊◊

     


     


  • Commentaires

    1
    Lundi 25 Avril 2016 à 18:40

    J'aime bien ce pays, "vous pouvez embrasser la fiancée", puis "vous pouvez embrasser la mariée", tout est prétexte pour se faire des bisous. Voilà qui contraste diablement avec l'esprit belliqueux du monde où ils vivent ! happy

    2
    Lundi 25 Avril 2016 à 21:49

    Moi j'aime quand ils se font des bisous!!! ;)

     

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