• Chapitre 4

      Tandis que le chambellan raccompagnait la délégation arkanienne, Estelle vient se blottir dans les bras de son cousin qui l’étreignit.

    - Que va-t-il se passer maintenant, Tryer ? murmura la jeune fille.

      Le blessé réprima un gémissement. Elle s’écarta de lui pour l’aider à s’asseoir sur son lit.

    - Nous allons essayer de protéger la Cité Lumineuse le plus longtemps possible. Je ne suis pas inquiet : le prince Arnald ne nous a pas traités en ennemis. Il faut organiser les funérailles. » Il se prit la tête entre les mains, avant de s’allonger. « Fais mettre les drapeaux en berne et fais sonner le cor pour avertir la cité. »

      La jeune fille comprit que provisoirement le gouvernement de la cité allait devoir reposer sur ses épaules.

    - Tu dois prendre du repos ! ordonna-t-elle. Tu n’es pas encore rétabli et ces dernières heures ont été lourdes de tension. Tu ne dois plus te lever jusqu’à nouvel ordre ! Bois cette décoction, elle t’aidera à dormir un peu. Je vais appeler Ellynn pour veiller sur toi.

    - Non ! Laisse-la se reposer, elle ne pourrait rien faire de plus. »

      La jeune fille quitta la chambre. Elle appela aussitôt l’intendant pour lui transmettre les ordres de Tryer. Organiser les funérailles, faire le tour des blessés, vérifier auprès des lieutenants l’état des défenses restantes, toutes ces tâches l’emportèrent dans un tourbillon.  Lorsqu’elle revint en fin de journée, son cousin avait les yeux grands ouverts. Son teint était beaucoup moins pâle. Elle changea le bandage de son bras, soulagée de voir que la blessure était enfin saine. Tryer s’installa dans le fauteuil près des fenêtres pour profiter des dernières lueurs du soleil. Il lui fit signe de s’asseoir auprès de lui. Il eut un pincement au cœur en avisant les traits tirés de sa cousine. Ces dernières heures avaient été tellement éprouvantes pour elle, alors qu’elle avait dû endosser tant de responsabilités. Il se sentit submergé de tendresse pour celle qu’il considérait comme sa petite sœur. Il se rappelait encore le jour où son père l’avait ramenée, six ans auparavant. Malgré ses seize ans, son cœur avait fondu pour la petite fille qui pleurait la perte de ses parents et de son frère. Il secoua la tête, essayant de se concentrer sur le présent.

    - Penses-tu que le prince Arnald soit sincère ?

    - Il m’a paru franc et direct. Il a exprimé ce matin tout ce qu’il ressentait. Son regard est limpide. Il n’avait rien à cacher. Il semble déterminé à punir le responsable de tous ces événements.

      Il hocha la tête, pensif.

    - Est-ce que tu crois à cette histoire de sorcier ?

      Elle détourna le regard.

    - Le roi d’Arkanie aussi est touché par le poison, ajouta le jeune homme, perplexe. Même poison, mêmes hallucinations ?

    - Ce n’était pas un délire causé par le poison. Je… » Elle ouvrit la bouche, avant de se raviser en baissant les yeux. Son cousin la regarda avec étonnement. « Ce n’est pas la première fois que j’entends parler de sorciers puissants dotés de pouvoirs magiques. reprit-elle, gênée. Mon père en parlait souvent. Je me souviens que ma mère lui ordonnait de se taire dès qu’elle se rendait compte que Mikalyas et moi étions dans les parages.

    - Des sorciers…

      Estelle laissa son regard se perdre au loin, du côté du camp des arkaniens, caché derrière la colline. Elle poussa soudain un petit cri, faisant sursauter Tryer.

    - Estelle ! Qu’y a-t-il ?

      La jeune fille ne répondit pas tout de suite, blanche comme un linge.

    - Estelle ! insista-t-il.

      Elle secoua la tête, comme pour chasser une impression désagréable. Son expression se fit déterminée, comme si elle venait de prendre une décision.

    - Le roi d’Arkanie vient de mourir, murmura-t-elle. Exactement comme notre père… Je veux dire ton père ! se reprit-elle tristement.

    - Il était devenu ton père, tout autant qu’il était le mien, Estelle. Mais je ne comprends pas ? Comment sais-tu… Cette sonnerie ! C’est le clairon arkanien qui sonne les morts !

    - Les soldats arkaniens pleurent leur roi, acquiesça-t-elle.

      Tryer la considéra avec attention.

    - Je ne comprends pas. Comment pouvais-tu le savoir ?

      Elle le fixa droit dans les yeux.

    - Tryer, je te considère comme mon frère. Désormais tu es la seule famille qui me reste.

    - Rassure-toi, petite sœur ! Je ne vais pas te chasser !

    - Il ne s’agit pas de ça, Tryer. C’est que… Tu m’as parlé de sorciers, il y a un instant… Elle hésita. J’en suis une. Je suis une sorcière.

      Il s’étrangla sur son fauteuil.

    - Que racontes-tu ? Tu es folle ?

    - Il y a un peu plus d’un an, le jour de mes quinze ans, le comte m’a révélé l’histoire de mon père, Sandrun des Brumes. C’était un très ancien sorcier qui avait choisi de rompre son immortalité par amour pour ma mère.

    - Oncle Sand ? Un sorcier !

    - Dans sa prime jeunesse, il avait été séduit par le charisme redoutable de Branag de Quervy. Il était devenu son disciple le plus puissant jusqu’à ce qu’il se retourne contre lui. Personne n’en connaît plus les circonstances exactes. Branag s’est vengé des centaines d’années plus tard. Il a enlevé mon frère jumeau Mikalyas, persuadé que comme maman n’était pas une sorcière, la magie ne se transmet que par les hommes. Ce qui était faux. Mikalyas était simplement humain. Les pouvoirs de Sandrun étaient passés en moi.

    - Ce que tu me racontes est… extravagant ! Je ne peux te croire ! Toi ? Une sorcière !

      Estelle haussa les épaules.

    - Tu ne me crois pas ?

      Elle tendit le bras vers la lourde armoire contre le mur. Tryer écarquilla les yeux en voyant le meuble se soulever jusqu’à toucher le plafond de la chambre.

    - Je rêve !

    - Tu ne rêves pas, Tryer. En fait, en disant que je suis magicienne, je suis trop présomptueuse. Je suis tout juste une apprentie. Lorsque ton père m’a fait toutes ces révélations, il m’a emmenée auprès de Galaird, le vieil ermite de la forêt.

    - Lui aussi, c’était un… ?

    - Exactement. Il a commencé à me montrer comment utiliser le potentiel qui est en moi, il m’a éclairée sur ma condition. Il m’a donné un grimoire qui appartenait à son père. Malheureusement, il est mort il y a deux mois.

    - Mais… Comment a-t-il pu mourir ? Je croyais que… Père et le roi ont affirmés qu’ils étaient immortels !

      Estelle secoua la tête.

    - Il est possible de renoncer à cette immortalité. Galaird l’a fait lorsqu’il a constaté que sa bien-aimée voulait un enfant. Pour un sorcier, il faut choisir entre une descendance et l’immortalité. Il est mort heureux, parce qu’il allait la rejoindre dans l’autre monde. Cela faisait plus de vingt ans qu’il attendait ce moment !

      Tryer resta abasourdi.

    - Pour ce qui est de la mort du roi, j’ai eu une vision. J’ai vu le prince Arnald tomber à genoux auprès de la couche de son père. Il pleurait et lui a juré une dernière fois de protéger le royaume d’Arkanie et Mystia tout entier.

    - Une vision… Tu… Estelle ! Je t’en prie, dis-moi que je ne suis pas fou ! J’ai encore de la fièvre, je délire, et…

      La jeune fille se pencha vers lui et passa sa main sur son front.

    - Tu es en pleine convalescence. Et ta fièvre est tombée.

    - Whoah ! fit le jeune homme. Des armoires qui volent, des visions… Et quoi d’autre ?

    - Pas grand-chose pour l’instant. Il faut que je travaille avec son livre. Maintenant que je suis seule, c’est plus long qu’avec un maître.

      Tryer éclata soudain de rire. Sa cousine le considéra avec une surprise mêlée de colère.

    - Qu’y a-t-il de si drôle ?

    - Toi, ma petite étoile ! En te voyant, on contemple une toute jeune fille de seize ans, toute douce et belle, qu’on imagine calme et adorant la broderie. Mais il n’est, comme on dit, pire eau que l’eau qui dort ! En fait cette apparence angélique cache une redoutable cavalière, une guerrière qui excelle à l’épée, au tir à l’arc, une guérisseuse qui connaît les plantes qui soignent, et maintenant la dernière facette ! Une sorcière ! Tu es décidément extraordinaire ! »

      Estelle hésita une fraction de seconde et se mit à rire avec lui. Ils rirent de bon cœur pendant quelques minutes, puis soudain la jeune fille éclata en sanglots.

    - Tryer… C’est affreux ! Nous rions comme des fous et ton père…

      Tryer sourit en l’attirant dans ses bras.

    - Il aurait préféré nous voir rire que pleurer, Estelle. Ne te reproche rien !

      Blottie contre son cousin, elle sanglota quelques instants avant de se calmer. Elle sembla prendre une décision.

    - Je sais que maintenant c’est toi mon tuteur, Tryer. Et j’ai une permission à te demander…

      Le jeune homme comprit avant même qu’elle parle.

    - Tu veux que je t’autorise à partir avec l’armée du prince.

      Elle hocha la tête.

    - Je ne te laisserai pas seul, Tryer. Ellynn t’aime profondément, elle s’occupera de toi !

    - Et moi qui suis coincé, avec ce bras ! Ecoute, ma petite étoile, je veux bien te laisser partir, à la condition que le prince veuille de toi dans son escorte. Et je veux que tu te présentes sous ton vrai nom. D’ailleurs, je viendrai avec toi pour être sûr que tu ne triches pas ! »


  • Commentaires

    1
    Lundi 25 Janvier 2016 à 20:29

    Jeune et rebelle la petite Estelle. Tout lui réussit, malgré un caractère un peu autoritaire semble-t-il... Cela risque de lui jouer des tours...

    2
    Lundi 25 Janvier 2016 à 20:34

    Tout à fait! ça va lui en jouer, sinon ce ne serait pas drôle!

    3
    Mercredi 27 Janvier 2016 à 15:10
    j'ai enfin rattrapé mon retard !
    et bien, notre petite Estelle est pleine de surprise ! j'ai hâte (et j'ai un peu peur) de voir ce que tu lui réserves : p
    4
    Jeudi 28 Janvier 2016 à 20:14

    Tu peux trembler, Kallaria! ;)

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :