• Chapitre 21

    « Un quoi ? Tu te moques de moi, Cœlian !

      Le chevalier laissa échapper un petit sourire narquois.

    - Loin de moi cette idée, mon prince ! En fait la personne qui m’a révélé cet intéressant secret m’a dit que c’était pareil que les démons, sauf que je protégeais une sorcière. Je serai donc un ange !

    - Mandaly, tu es devenu fou !

      Cœlian disparut pour se retrouver derrière le prince Arnald qui sursauta.

    - C’est moi qui devient fou !

    - Oh que non, mon cher ami ! Vous avez survécu aux révélations d’Estelle, vous accepterez bien les miennes ! Bref, je vais donc vous laisser pour tenter de retrouver cette petite sorcière à qui j’ai deux mots à dire. Nous essaierons de trouver ce fichu dragon au plus vite. Sinon, nous nous reverrons auprès de la grande Déesse !

    - Tu es un impossible démon, Cœlian ! »  

      Après avoir présenté ses hommages à la princesse Lyjane, Cœlian, monté sur Morvack, expérimenta son pouvoir. Il ferma les yeux, toutes ses pensées tournées vers la Cité Lumineuse. Lorsqu’il les rouvrit, il se trouvait dans les écuries du château, fort heureusement désertes. « Je vais finir par m’effrayer moi-même ! » murmura-t-il. La porte s’ouvrit brusquement. Cœlian recula pour se cacher dans l’ombre. Il observa les deux lads qui s’installèrent dans la paille, manifestement inquiets. Ils avaient une quinzaine d’années.

    - Ce Rodis est un monstre, Danyald ! Il considère toutes les femmes de chambre comme ses servantes personnelles !

    - Je sais ! soupira le second. Malouria est venue pleurer dans notre chambre vers la fin de la nuit. Ma sœur n’arrivait pas à la calmer. Il l’a forcée, ce salaud ! Elle a à peine treize ans ! Heureusement qu’Itilène est un peu guérisseuse.

    - Ce que je crains, c’est qu’il ait fait du mal au comte et à la comtesse.

    - Pas encore, heureusement ! Il a enchaîné notre comte et son fidèle lieutenant Kendal dans le donjon du haut. La comtesse est consignée dans sa chambre.

    - Il faut que nous allions les aider !

      Le plus jeune des deux lads regarda son ami avec une mine de conspirateur.

    - Je suis allé voir la comtesse, hier. Elle m’a demandé d’attendre ce soir avant d’aller rejoindre son mari. Viendras-tu avec moi, Lucidan ?

      Touché par la détermination des deux adolescents, Cœlian sortit de l’ombre.

    - Bonsoir les gars !

      Les garçons sursautèrent, puis, sans se concerter, tirèrent leur dague pour le menacer.

    - Vous ne raconterez à personne ce que vous avez entendu ! menaça le plus âgé. Danyald ! On y va !

      Sans bruit, le chevalier disparut. Il réapparut juste derrière eux. Il les désarma d’un même geste en leur souriant amicalement.

    - Calmez-vous, les jeunes ! Je ne suis pas un ennemi ! Je suis Cœlian de Mandaly !

    - Le fiancé de damoiselle Estelle ! s’exclama Lucidan en reconnaissant le sourire narquois. Comment vous avez réussi un truc pareil ?

    - Disons que je suis vraiment un démon ! Vous deux, vous restez là. Je vais aller libérer Tryer. Lorsque ce sera fait, nous vous rejoindrons ici pour préparer la libération de la ville. Mais d’ici là, pas un mot à quiconque ! Pas d’initiative désastreuse ! Vous êtes d’accord ?

    - À vos ordres, chevalier ! s’exclamèrent les deux adolescents, les yeux brillants.

      Sous leurs yeux ébahis, Cœlian disparut dans un éclair bleu.

      Dans le donjon, Tryer et Kendal réfléchissaient à un moyen de se libérer lorsqu’une étrange lueur bleue les surprit.

    - Salut, Tryer ! Bonsoir Kendal ! Auriez-vous besoin d’un petit coup de main ?

      Les deux prisonniers restèrent bouche bée en découvrant le chevalier devant eux, nonchalamment adossé à la muraille. Il tenait dans sa main la clé des chaînes qu’il venait de subtiliser au geôlier.

    - Cœlian ! Comment est-ce possible ? Estelle est avec vous ?

      Le sourire du chevalier s’éteignit instantanément. Il détacha les deux hommes qui se frictionnèrent les poignets

    - Non ! Mais avant de penser à ma sorcière préférée, il faut libérer la Cité Lumineuse de cette pustule qui la dirige. Rodis contrôle de moins en moins ses ardeurs ! Dans l’écurie, il y a deux écuyers qui brûlent d’envie de se révolter. Danyald et Lucidan, je crois. Nous allons les rejoindre !

    - Mais comment ? protesta Kendal, en désignant la porte close.

    - Très simplement !

      Cœlian posa ses mains sur les épaules des deux hommes. Une fraction de seconde plus tard, ils étaient de retour dans l’écurie.

    - Ahh ! sursautèrent les enfants.

    - Tais-toi, Dany ! C’est le chevalier de Mandaly ! Oh ! Comte Tryer !

      Les adolescents étaient désormais trois. Ils semblaient désespérés. Cœlian comprit que sa magie n’était pas la cause.

    - Danyald ! Lucidan ! Qu’y a-t-il ?

    - C’est… la comtesse ! Ce chien de Rodis est monté dans sa chambre il y a cinq minutes !

      Sans réfléchir, Cœlian attrapa le comte par la manche de son habit.

    - Kendal ! ordonna-t-il. Organisez vite la reprise de la cité.

      Le lieutenant Kendal de Barenn n’eut pas le temps de répondre, qu’ils avaient disparu.  Ils se transportèrent dans la chambre d’Ellynn.

      Clouée sur son lit, la jeune femme se débattait avec rage tandis que l’ancien général d’Arkanie essayait de déchirer ses vêtements, sans succès.

    - Je vais t’apprendre ce que c’est qu’un véritable homme, fillette ! susurrait-il. Tu ne le regretteras pas, tu vas voir !

    - Espèce de porc ! cria Tryer, fou de rage.

      Enyales se retourna, le visage congestionné.

    - Queffelec ! Mandaly !

      Cœlian sourit en tendant son épée à Tryer.

    - Je vous en prie, Tryer. J’avais rêvé de l’écorcher moi-même mais les circonstances font que vous avez la priorité !

      Rodis rajusta ses habits à la hâte. Il se jeta sur son épée.

    - Quand tu seras mort, je continuerai à dresser ta femme !

      Tryer respira profondément pour se calmer. Il se mit en garde.

      Tandis que les deux bretteurs croisaient le fer, Cœlian rejoignit Ellynn qui tremblait sans pouvoir s’arrêter.

    - Ellynn ! murmura-t-il en l’aidant à passer une tunique. Restez calme. Ne vous inquiétez pas. Rodis n’a aucune chance, Tryer va gagner.

      La jeune femme se blottit contre lui en reniflant.

    - Co… Comment en êtes-vous si sûr ?

    - Un ange veille sur votre mari, Ellynn ! plaisanta-t-il.

      En effet, les coups d’épée de l’ancien général restaient sans effet tandis que Tryer se déchaînait. Au bout de quelques minutes, l’épée de Rodis s’envola pour se ficher contre la porte en bois. Cœlian la récupéra. Enyales de Rodis comprit qu’il n’avait plus aucune chance.

    - Allez-y ! cria-t-il. Tuez-moi !

      Cœlian et Tryer échangèrent un regard.

    - Non ! fit le comte de Queffelec. Vous attendrez votre jugement dans les cachots de la Cité Lumineuse.

    - Je m’en charge !

      Enyales de Rodis ne comprit pas ce qui lui arrivait. En un éclair, il se retrouva enchaîné à la place de Tryer.

    - Rassurez-vous, on ne vous oubliera pas ! Enfin, peut-être pas… lança Cœlian avant de disparaître.

      Dans la chambre, Tryer et Ellynn sursautèrent en le voyant surgir du néant.

    - On discutera plus tard ! coupa-t-il. Venez.

      Dix secondes plus tard, une étrange réunion avait lieu dans les écuries. Trois écuyers et une quinzaine de soldats écoutaient les instructions de leur chef.

    - Nous allons prévenir tout le monde ! acquiesça Kendal. Dans moins d’une heure, tous les hommes valides de la Cité Lumineuse seront réunis dans la grande cour. Les quelques hommes à la solde de cet Andral de malheur ne feront pas long feu.

    - Ne tuez que les soldats de Rodis qui résistent à tout prix ! Je ne veux pas de massacre ! insista Tryer.

      Lorsque le soleil apparut à l’horizon, Cœlian venait d’arracher la dernière oriflamme aux armes des envahisseurs. Il la remplaça par les emblèmes de Queffelec. Un souvenir lui revint, lorsque Estelle avait présenté la reddition de sa ville, elle portait ces mêmes armoiries…

      Un grand cri de joie interrompit sa rêverie : « Vive le comte de Queffelec ! Vive le chevalier de Mandaly ! »

      Épuisé, Tryer sortit au devant de la foule.

    - Mes chers amis, aujourd’hui nous avons libéré la Cité Lumineuse de la domination de Rodis. Mais je ne peux pas vous garantir la paix. Car son maître, le seigneur d’Andral, peut revenir. C’est un ancien sorcier. Vous avez vu l’étendue de sa puissance. S’il vainc l’Arkanie, nous sommes perdus. Nous devons soutenir le prince de Koralia.

    - Nous nous battrons jusqu’au bout ! » hurlèrent quelques voix, aussitôt reprises en chœur.

      Après avoir pris quelques heures de repos, Cœlian rejoignit le comte dans la salle du conseil. Il comprit qu’il était attendu avec impatience.

    - Maintenant, Cœlian, j’exige que vous m’expliquiez ce que vous avez fait ! attaqua Ellyn, en lui tendant une chope d’hydromel. Vous êtes un sorcier, vous aussi ?

      Les hommes le regardaient avec attention, la réponse les intéressant au plus haut point.

    - Pas vraiment, soupira Cœlian. Promettez-moi de ne pas rire ! Voilà… Il paraît que je suis un… Un ange.

      Ellynn écarquilla les yeux tandis que Tryer ne pouvait s’empêcher de pouffer.

    - Tryer ! Vous m’aviez promis !

    - Je suis navré, Cœlian, mais c’est trop drôle !

    - Je sais, j’ai fait comme vous. Enfin, une inconnue, — sans doute une sorcière, ou un autre ange, je ne sais pas trop —, m’est apparue dans la bibliothèque de Koralia. Elle m’a informé de cet état de fait. Elle m’a enseigné quelques trucs avant de disparaître, par magie aussi. Donc, je suis capable de me déplacer instantanément, de me protéger contre les pouvoirs des sorciers et de faire quelques blagues stupides comme faire pleuvoir dans les maisons… Ça peut toujours être utile en cas d’incendie !

    - Incroyable ! soupira Kendal. Avant les révélations de damoiselle Estelle, si quelqu’un m’avait parlé de magie ou de sorcier, je lui aurai ri au nez !

      Cœlian tressaillit.

    - En parlant d’elle, qu’a-t-elle fait, après m’avoir expédié à sa guise ?

      Tryer baissa la tête. Ellynn prit la parole.

    - Après vous avoir fait disparaître, elle nous a ordonné de faire semblant de nous rendre pendant quelques jours, puis de nous rebeller lorsque les armées d’Andral seraient suffisamment loin. Elle, elle est partie se livrer à Mikalyas pour remplir sa part du marché. Alsved et Alya sont revenus une demi-heure après. J’ai dû enfermer la panthère dans la chambre d’Estelle pour éviter que Rodis ne la tue.

    - Je dois la retrouver. Il existe un moyen de détruire Branag, mais sans son aide, nous ne pouvons pas y arriver. Je vais essayer de rejoindre les troupes d’Andral, maintenant que j’ai repris des forces.

    - Attendez, Cœlian, avant de vous éclipser ! J’ai eu une discussion avec Kendal et mes guerriers. Nous savons que si l’Arkanie tombe, nous tombons aussi. Nous voulions envoyer les trois-quarts de l’armée à Koralia. Mais vos nouvelles capacités nous permettraient d’arriver là-bas avant Andral…

      Cœlian sursauta.

    - Mais je ne suis pas sûr de pouvoir tous vous transporter !

    - Il faut essayer ! s’exclama Kendal.

    - Le plus vite possible ! s’écria Tryer. Kendal va rester, mais ceux qui veulent partir sont en train de se rassembler à l’entrée de la ville. Venez !

      Cœlian se demanda si Estelle se trouvait dans le même état d’esprit la première fois qu’elle avait eu à réaliser quelque chose d’apparemment impossible. Il se morigéna : pourquoi est-ce que tout le ramenait toujours à cette fichue sorcière ?

      Lorsque Tryer eut rassemblé ses troupes, Cœlian ferma les yeux. Une immense fatigue s’abattit sur lui tandis que l’armée de Queffelec disparaissait. Kendal de Barenn le retint par le bras, pour éviter qu’il ne s’effondre.

    - Chevalier !

      Cœlian ne répondit pas, essayant de reprendre son souffle.

    - Whoah ! souffla-t-il au bout de quelques minutes. C’est comme si j’avais soulevé une barrique pleine de vin. Je pense que je manque encore de pratique !

    - Ils sont…

    - Là où ils voulaient être, à quelques minutes de Koralia. Tryer saura se débrouiller pour rencontrer le prince Arnald. Mon problème, c’est l’endroit où se trouve désormais Estelle.

    - Peut-être puis-je vous aider, à ce sujet ! La panthère de damoiselle Estelle est enfermée là-haut. Le temps que vous vous reposiez, je vais aller la chercher.

      Quelques minutes plus tard, un éclair sombre jaillit à côté de lui. Il fut renversé par la panthère qui posa ses pattes sur ses épaules. Elle entreprit de le débarbouiller avant de nicher sa tête dans son cou.

    - Moi aussi, Alya, je suis content de te voir, murmura-t-il en la caressant.

    - La panthère devrait vous mettre sur la voie ! fit Kendal en amenant Asveld et Morvack, qui piaffaient d’impatience. Cœlian donna une accolade chaleureuse au lieutenant.

    - La Cité Lumineuse est entre vos mains, Kendal. Mais je ne pense pas que vous risquiez quoi que ce soit tant que l’Arkanie n’est pas tombée ! Au fait, songez à nourrir Rodis de temps en temps, je l’ai mis dans le cachot où il vous avait enfermé ! »

     


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