• Chapitre 2

      Aidé de son écuyer, le prince Arnald se débarrassa de son armure avant de pénétrer à l’intérieur de sa tente. Il nettoya à grandes eaux le sang et la boue qui maculaient son torse et son visage, espérant se débarrasser de l’odeur de la bataille. Un soupir de soulagement lui échappa lorsqu’il eut enfilé une tunique confortable. Il se laissa tomber à la renverse sur sa couche recouverte de fourrures, les yeux fermés, épuisé. Cela faisait maintenant plus de six mois que le baron Artus de Jolande avait brisé le serment d’allégeance que son ancêtre avait prêté au souverain du château de Koralia. Il voulait à tout prix s’emparer du royaume d’Arkanie. Lorsque ses manœuvres politiques avaient échoué, il avait attiré le roi et ses deux fils dans un piège soigneusement préparé. Arnald songea avec désespoir à la mort de son frère aîné, Julian, empoisonné. Il avait agonisé sept jours dans d’atroces souffrances. Personne n’avait rien pu faire pour le sauver. Jamais il n’oublierait l’odeur douceâtre que sa peau exhalait, gorgée de poison. Il secoua la tête, pour chasser les larmes qui lui montaient aux yeux. Il avait juré de le venger.

    - Prince ! Prince Arnald ! L’escorte royale approche !

      Le jeune homme se redressa souplement, essaya sans succès de discipliner ses boucles blondes encore humides et sortit en courant de sa tente. Il parvint à l’entrée du camp à l’instant même où deux soldats aidaient le souverain à sortir de son carrosse. Arnald s’approcha puis mit un genou à terre devant lui, baissant la tête plus pour dissimuler sa surprise effarée que par respect du protocole. Le roi Thomlar, encore en excellente santé quelques semaines auparavant, était devenu un vieillard voûté et valétudinaire.

    - Mon père ! murmura-t-il, attristé.

    - Lève-toi donc, mon cher fils. Et viens m’embrasser. Je suis très fier de toi, Arnald. Et pas uniquement à cause de ta victoire.

    - Je vous remercie, mon père. Mais venez à présent. La fatigue du voyage pèse sur vos épaules. Un repas chaud vous attend.

      Thomlar pénétra à pas lents sous la tente de son fils qui l’aida à s’asseoir avant de commencer à le servir comme le voulait la coutume. Le roi protesta.

    - Ne reste pas debout, Arnald. Prends place à mes côtés. Je voulais te féliciter pour ta conduite à la tête de l’armée d’Arkanie. Tu as réussi à t’imposer comme chef, à être respecté malgré ton âge. Surtout tu as empêché les soldats de se conduire en barbares. Pas de pillage, ni d’exactions…

    - Je n’aime pas la violence gratuite, mon père. D’ailleurs cette dernière bataille me laisse un goût amer. Nous avons combattu à cent contre un. Je suis sûr que la plupart de nos adversaires n’étaient même pas des soldats. Ce n’était pas juste. Et puis je déteste la guerre ! »

      Le vieux roi eut un sourire attendri.

    - Julian était mon portrait mais toi, tu ressembles tellement à ta mère… »

      Ils mangèrent tandis que le jeune homme relatait à son père la reddition de la Cité Lumineuse.

    « Tu es un vrai et solide meneur d’hommes, Arnald. J’ai signé l’acte à Koralia : depuis une semaine, tu es officiellement régent du trône d’Arkanie.

      Le prince sursauta, horrifié.

    - Non, père ! Non ! C’est impossible ! Vous êtes le roi. Et c’est mon neveu qui doit vous succéder !

      Le souverain soupira.

    - Arnald, je sais que mon état physique t’a fortement surpris lorsque je suis arrivé. Tu as bien caché tes sentiments, mais mon œil est encore attentif. Je n’ai rien manqué de ce que tu as pensé à ce moment-là.

      Le jeune homme baissa la tête.

    - Ton neveu Majan n’a que deux ans. Je l’ai laissé avec sa mère en sécurité dans notre forteresse la plus sûre. Mais le royaume ne peut rester sans chef. Il faut quelqu’un qui tienne les rênes !

    - Mais, je…

    - Tais-toi, Arnald ! Mon état de santé n’est pas naturel. Comme ton frère, j’ai été empoisonné. Le coupable a été pris en flagrant délit d’essayer de réitérer son acte sur Majan. Il a avoué. D’après les médecins, je n’en ai plus que pour quelques jours. J’ai donc abdiqué en ta faveur.

    - Non ! hurla Arnald, désespéré. Vous ne devez pas mourir, mon père. Je ne veux pas !

      Le visage inondé de larmes, le jeune homme tomba à genoux devant son père. Il prit une de ses mains qu’il porta à ses lèvres. L’odeur douceâtre du poison était infime, mais il la remarqua avec effroi.

    « Nous trouverons un antidote, père ! »

    Le roi Thomlar, touché, effleura tendrement la chevelure de son fils.

    - Ma mort est inéluctable, mon fils ! Elle survient juste un peu plus tôt que prévu. Et j’irais enfin rejoindre Julian et votre mère près de la grande Déesse. Elle me manque tant… Tu seras le régent d’Arkanie, en attendant que Majan puisse remplir dignement son rôle. Est-ce clair ? »

      Malgré sa faiblesse, le ton du roi Thomlar ne souffrait pas de refus. Arnald acquiesça, la gorge serrée.

    - Maintenant que cette affaire est réglée, peux-tu faire appeler le chevalier de Mandaly ? Je ne peux pas repousser le moment de lui parler plus longtemps. Il est ton ami, il aura besoin de ton soutien. »

      Cœlian pénétra dans la tente quelques instants plus tard. Il mit un genou à terre devant son souverain qui le fit se relever.

    - Mon jeune ami… J’ai une très mauvaise nouvelle à t’apprendre…

    - Kyriane et Mère ! murmura Cœlian d’une voix blanche tandis qu’Arnald entourait ses épaules de son bras.

    - Je suis navré. Elles ont refusé de venir se mettre à l’abri à Koralia. Elles étaient dans le manoir de Mandaly lorsque l’arrière-garde de Jolande les a trouvées.

    - Non… Un sanglot étouffé échappa au jeune homme, qui se laissa aller dans les bras réconfortants de son ami.

    - Elles n’ont pas survécu, Cœlian. Tu es en droit de m’en vouloir. J’aurai dû les faire protéger malgré elles. Ta sœur était courageuse. Elle a tué plusieurs de leurs agresseurs avant de succomber. Tous les habitants du château ont été massacrés il y a une semaine. Il a été détruit… »

      Celui que tout le royaume d’Arkanie surnommait le démon de Mandaly se dégagea brusquement de l’étreinte d’Arnald, son regard bleu farouche étincelait de chagrin et de rage mêlés.

    - Non, ce n’est pas de votre faute ! Mon roi, je vous jure sur mon âme et sur ma vie, que je trouverai ce Jolande. Je le vaincrai, et je lui ferai payer tous ses crimes de sa vie ! J’en fais le serment solennel.

      Arnald songea qu’il n’avait jamais vu son ami aussi désespéré.

    - Je vous prie de m’excuser, mon roi, mais… Je préférerai rester seul pendant un moment.

      Le souverain acquiesça.

    - Je comprends, Cœlian. Nous partageons ta peine. Je te relève de toutes tes obligations jusqu’à demain. Tu nous accompagneras à la rencontre demandée par le comte de Queffelec. »

      Le jeune prince serra le bras de son ami avant de le laisser aller.

    - Père ? Comment va Lyjane ?

      Le roi eut un sourire rassurant.

    - Elle m’a demandé de te dire qu’elle t’aime. Ta femme a accepté de rester avec Majan et sa mère. Elle est à l’abri.

    - Pourquoi cette satanée guerre a-t-elle été déclenchée ? gronda-t-il. Maudit Jolande ! Sans lui, je serai à ses côtés ! »


  • Commentaires

    1
    Lundi 11 Janvier 2016 à 18:03

    Le sort s'acharne contre Arnald, mais il doit suivre sa destinée ! Il le savait qu'un jour il serait tenu de prendre la place de son père.

    2
    Lundi 11 Janvier 2016 à 18:42

    Ben non, c'est un fils cadet! Il ne devait pas succéder à son père, c'était son frère l'héritier du trône!

    3
    Lundi 11 Janvier 2016 à 19:06

    Mais oui, mais comme son frère est mort, il savait qu'il était inscrit dans l'ordre de succession...

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    4
    Mercredi 13 Janvier 2016 à 20:33

    Quelle saleté, cette guerre ! u_u Pauvre Arnald et pauvre Coelian...cry

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :