• Chapitre 18

      Comme Estelle l’avait prédit, l’avant-garde de l’armée de Branag vint s’installer sur la colline qui faisait face à la Cité Lumineuse le deuxième soir suivant leur arrivée. Des étendards noirs furent dressés au dessus des tentes, qui claquaient au vent. Dès que les guetteurs eurent signalé l’arrivée des intrus, Tryer et son lieutenant vinrent observer la situation du haut des remparts. Cœlian les rejoignit peu après. Son regard perçant essayait de reconnaître le blason du seul étendard clair qui détonnait à côté des autres.

    - Rodis ! siffla-t-il en serrant les poings. Cet ignoble traître est donc passé à l’ennemi ! Estelle avait raison !

    - Bien sûr que j’avais raison ! s’exclama-t-elle en approchant des créneaux.

    - Que faisons-nous, comte ? s’enquit le lieutenant Kendal de Barenn. Devons-nous attaquer ?

      Tryer et Cœlian secouèrent la tête en même temps.

    - Non, nous n’attaquerons pas les premiers. Ce n’est pas à nous de déclencher les hostilités. Tant qu’ils ne passent pas à l’offensive, nous n’avons aucune raison d’attaquer.

    - Eh bien, qu’est-ce qu’il vous faut ! soupira Kendal en désignant du doigt les soldats en armes qui installaient leur camp.

    - Nous devons rester prêts à réagir au moindre mouvement agressif de leur part, compléta Tryer. Estelle ? Vois-tu quelque chose de plus ?

      La sorcière se concentra.

    - Je vois juste une armée, Tryer. Si Branag est là, il dissimule probablement son aura de sorcier, comme je le fais moi-même, machinalement. Je ne peux donc rien dire de plus.

      Une sonnerie de cor éclata soudain de l’autre côté des remparts. Tous sursautèrent. Une délégation de cinq cavaliers s’approchait des murs de fortification.

    - Par la grande Déesse ! C’est Rodis ! grommela Cœlian en réprimant une furieuse envie de décocher une flèche en plein cœur du cavalier de tête qui portait un drapeau noir.

      Tryer leva la main pour réclamer le silence.

    - Écoutez, hommes de la Cité Lumineuse ! Le prince d’Andral a décidé d’annexer votre cité ! Il souhaite vous accorder sa protection en échange d’un tribut. Si vous acceptez de nous ouvrir les portes, vous serez tous épargnés !

    - Messire de Rodis, je suis le comte de Queffelec, maître de la Cité Lumineuse. Je vous prie d’aller prévenir votre maître qu’il ne prendra pas ma ville tant qu’il restera des hommes pour la défendre !

      Le messager laissa échapper un ricanement moqueur. Il brandit le poing.

    - Alors, vous aurez la guerre ! Malheur aux vaincus !

      Le cœur serré, tous ceux qui étaient sur les remparts regardèrent les cinq cavaliers ennemis s’éloigner au grand galop. Tryer fit un signe aux guetteurs sur les tours.

    - Tenez-vous prêts ! fit-il simplement. Estelle, Ellynn, allez vous réfugier dans le château. Ça va devenir dangereux.

      Les deux jeunes femmes protestèrent.

    - Sûrement pas ! Estelle m’a donné une cotte de maille à ma taille ! argumenta Ellynn. Oh ! Regardez !

      Ils tournèrent tous la tête vers la plaine. Leur sang se glaça. Tryer bondit vers le cor d’alerte. Il fit résonner l’appel d’alarme, aussitôt relayé par tous les gardes des remparts.

      « Mettez-vous à l’abri ! » hurla-t-il. « Préparez de quoi éteindre les incendies ! »

      Comme pétrifiés, ils regardèrent s’avancer les dix catapultes. Les soldats ennemis munis de torches les armèrent.

    - Estelle ! Peux-tu les empêcher de…

    - Non ! trancha-t-elle. Je suis une sorcière, pas la grande Déesse ! Je peux juste essayer d’empêcher les flammes de faire de trop gros dégâts à l’intérieur.

    - Mais…

    - Si j’essaye de faire ce que tu me demandes, non seulement je ne suis pas sûre d’y parvenir mais en plus je m’épuiserai. En plus, l’ennemi saura qu’une sorcière est dans la cité. Branag a plus de neuf cents années d’expérience de la magie. Il aura tôt fait de me réduire à l’impuissance. Il vaut mieux qu’il ne connaisse pas mon existence.

    - Alors, nous allons tenter de leur causer des pertes. Cœlian ?

      Le chevalier de Mandaly se ressaisit. Il était resté comme hypnotisé par l’avancée des armes de mort.

    - Bien sûr, Tryer, je vous accompagne. »

      Il encocha une flèche dans son arc. Estelle redescendit vers la ville, dans l’attente des boulets enflammés qui ne devaient plus tarder à tomber sur les maisons.

      Ils n’eurent que quelques minutes à attendre. Une dizaine de traits de feu jaillit dans le ciel. Des cris de frayeur retentirent un peu partout dans la ville tandis que l’odeur âcre de brûlé commençait à se répandre. Estelle et Ellynn se précipitèrent. La jeune sorcière parvint à étouffer les feux les plus proches tandis que la comtesse essayait de réconforter la population malgré sa propre angoisse.

      Durant trois jours entiers, sans la moindre interruption, les guerriers de la Cité Lumineuse luttèrent pied à pied contre les envahisseurs, les empêchant de mettre pied sur les remparts, décimant ceux qui se risquaient à approcher des catapultes abandonnées. En effet, après la première salve, les archers avaient pris position. Leurs tirs empêchaient toute possibilité de viser. Cœlian se distinguait particulièrement.

    - Tryer, j’ai une idée diabolique…

    - Diabolique ? Ça ne m’étonne pas de vous ! Dites donc ! »

      Cœlian se pencha à l’oreille du comte de Queffelec pour lui murmurer quelques mots.

    - Vous êtes complètement fou ! Mais… Si ça marchait… Je vais y aller moi !

    - Certainement pas, c’est mon idée ! coupa Cœlian. Je vais essayer de nous débarrasser de Rodis. Vous ne pouvez pas m’empêcher de le faire. En plus, la cité a besoin de vous à sa tête ! »

      Tryer prit une décision en considérant le fiancé de sa cousine, déterminé à risquer sa vie pour son peuple.

    - Alors je vais vous confier un secret. Vous allez sortir de la ville par un passage secret qui débouche derrière la fontaine sacrée, à la lisière des arbres.

    - Ce sera parfait ! Mon cher, dans moins d’une demi-heure, Rodis aura la surprise de découvrir qu’une de ses catapultes a changé de camp ! »

      Tryer secoua la tête, amusé par la lueur démoniaque qui animait les prunelles du chevalier.

    - Si je ne vous connaissais pas depuis un certain temps, vous me feriez peur !

      Dès que le chevalier de Mandaly eut disparu dans le souterrain, Tryer appela sa cousine pour lui dévoiler le plan de son fiancé.

    - Il est complètement fou ! soupira-t-elle, anxieuse. Ça peut marcher… J’aurai dû avoir cette idée moi-même !

    - Peux-tu le protéger de loin ?

      Elle hocha la tête. Dès que Morvack apparut au loin, galopant, elle ferma les yeux, concentrant son énergie sur le cavalier et sa monture. Un soupir de soulagement lui échappa lorsqu’elle constata que les traits qui le visaient étaient tous déviés.

      Sans pourtant cesser de décocher leurs flèches, les défenseurs de la Cité Lumineuse gardaient un œil sur le chevalier qui se battait contre deux fantassins protégeant leur catapulte. Ellynn avait posé la main sur l’épaule de son amie qui serrait fort les poings.

    « Attention ! » cria-t-elle soudain. De loin Tryer vit Cœlian faire volte-face. Il élimina d’un geste souple l’homme qui l’attaquait en traître. Estelle sourit en entendant dans sa tête : « Merci mon amour ! ».

    - Regardez, comte ! s’exclama Kendal de Barenn. Il a pris la direction de cette chose !

      En effet, la catapulte pivotait lentement sur elle-même jusqu’à ce que la catapulte voisine soit dans sa ligne de mire. Estelle n’eut aucun mal à imaginer son sourire lorsqu’il enflamma le boulet et déclencha le mécanisme. Sa cible vola en éclat. Sans se reposer sur ses lauriers, il se hâta de réarmer l’appareil. Avant que les lieutenants ennemis puissent réagir, il avait démoli les trois-quarts du potentiel adverse.

    - Cœlian ! Fuis ! » hurla soudain Estelle.

      Ils virent le chevalier se retourner brusquement. Il orienta différemment la catapulte. Il déclencha une dernière fois le mécanisme avant de bondir sur Morvack qui partit au galop. Le boulet de la catapulte tomba sur les premiers de ses poursuivants, protégeant sa fuite par un nuage de fumée très épais. Lorsqu’il se fut dissipé, Cœlian était à l’abri dans le souterrain dont l’entrée était à nouveau dissimulée. Quelques instants plus tard, le chevalier débouchait tranquillement aux pieds des remparts, à l’intérieur de la cité. Une ovation s’éleva. Cœlian brandit son épée d’un geste victorieux.

    - Cœlian !

      Le chevalier regarda la silhouette entourée d’un nuage de cheveux roux accourir vers lui. Il mit pied à terre. Estelle se jeta dans ses bras avec force. Il l’embrassa passionnément avant de la regarder dans les yeux.

    - Sans toi, ma douce, je n’aurais pas réussi ! Merci mille fois ! C’est rudement pratique en temps de guerre, tes trucs de petite sorcière ! »

      Estelle haussa les épaules devant son sourire narquois.

    - Tu aurais pu te faire tuer ! Pourquoi ne m’as-tu pas parlé de cette idée ?

    - Tout simplement parce que tu aurais décrété que c’était à toi d’y aller. J’avais envie de bouger un peu !

    - Cœlian, vous avez accompli un travail formidable ! s’exclamèrent en même temps Tryer et Kendal.

      Il sourit mais son regard se fit soucieux.

    - Il ne faut pas crier victoire trop vite. Ils ne vont pas renoncer aussi vite.

      Les guerriers acquiescèrent avant de reprendre leur position sur les remparts.


  • Commentaires

    1
    Lundi 2 Mai 2016 à 18:05

    Quelle témérité ! kiss

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